Une petite digression qui m'a déjà traversé l'esprit : qu'est que l'art réussi ? Est-ce qu'on réussit son oeuvre d'art parce qu'on la rend belle, ou est-ce qu'on la réussit parce qu'on sait y faire passer de l'émotion ?
Pour certains, l'art doit d'abord être beau. On mesure l'art en termes techniques, en observant s'il respecte des contraintes spécifiques, s'il est "aux normes de la beauté". On y utilise des éléments complexes, que ce soient des formes ou des méthodes en peinture, des prouesses techniques en musique, des termes techniques en poésie... Et pourtant, que dire de tous ces efforts si le rendu final est fade et sans âme ?
Je perçois davantage l'art comme un message d'émotions, évocateur d'ambiances et de sentiments. Qu'importe qu'il soit moins beau, qu'importe qu'il soit plus froid, qu'importe qu'il soit plus cruel : des thèmes tels que le mal-être, la mélancolie, la mort ou la dépression ne seront jamais efficacement transportés par un art "beau". Dès lors, on y utilisera des tons plus noirs en peinture, des sonorités plus agressives ou torturées en musique, des termes plus crus en poésie... Sera t-il pourtant de moindre qualité ? Je ne pense pas. Et au moins, il sera plus parlant.
Revenons à notre art "beau" alors. A trop rechercher la beauté, ne perd t-on pas progressivement tout ce courant d'émotions qu'il pourrait transporter ? Cette beauté ne serait-elle pas alors la ruine de l'âme pour cet art, le privant de toute sa force évocatrice ?
Alors artistes, je compte sur vous pour être les artisans de l'émotion et non les seuls fabricants de la beauté.
Dans ses origines les plus profondes l'art était un instrument politique et religieux, servant à montrer et démontrer diverses choses aux foules illettrées ou lettrées.
RépondreSupprimerLes mécènes et autres commandaient, généralement par intérêt, des oeuvres qu'ils exploitaient de différentes façons.
L'art n'avait donc rarement été une méthode d'expression (quoique certains artistes ne se gênaient pas) mais plus un moyen, pas tant une fin.
Il suffit de chercher quelques tableaux d'avant le cinquecento, la plupart représente la religion, des scènes de batailles ou autres... Est-ce par beauté? Par émotions? Non de manière générale c'est ce qui était demandé... Mais cela rend-t-il les memento mori moins vrais?
De nos jours l'art est un métier, un moyen, toujours pas (ou si peu que pas) une fin. Le mécénat n'existe certes plus, mais les artistes modernes peuvent-ils prétendre être désintéressés?
Certains le sont encore, oui, mais pour peu qu'ils deviennent connus, ils ne sont plus maîtres de leurs oeuvres et, esclaves du public, se trouvent enfermés dans un carcan qui les empêchent de s'esprimer encore librement par leur art.
RépondreSupprimerAutre chose : l'art froid et sans âme peut avoir été réfléchi pour être tel, parfois. C'est toi-même, Inari, qui le dis. Je cite : dans un premier temps tu condamnes cela - " que dire de tous ces efforts si le rendu final est froid et sans âme ?" - mais ensuite, tu dis " qu'importe qu'il soit plus froid". La froideur et l'impersonnalité d'une oeuvre peut être liée à ce que veut exprimer l'artiste : condamnation d'une chose ? traduction d'un état d'âme, d'une vision blasée de l'art ?
Cependant, je n'apporte là qu'une nuance : la plupart du temps, une oeuvre sans âme est due à l'inexpérience de l'artiste, et non à un résultat mûrement réfléchi - surtout dans les arts anciens : c'est plutôt les contemporains qui cherchent sciemment ce résultat. Pour ceux d'avant, à part les artistes qui ont su se faire connaître et dont les noms, aujourd'hui encore, sont parlants pour le grand public et pas juste pour une minorité érudite, la plupart se contentaient d'appliquer des règles et des canons, sans vraiment se laisser porter par l'inspiration.
C'est pour cela que leurs noms ont été oubliés.
Quant aux artistes connus dont les oeuvres nous laissent aujourd'hui indifférents, c'est parce que nos cultures sont trop éloignées : leur art parlait à leurs contemporains, suscitait de l'émotion, mais ne suscitent plus rien en nous. On pourrait alors se demander si, pour définir l'oeuvre d'art, il ne faut pas prendre en compte aussi son universalité - temporelle aussi bien que spatiale.
Enfin, il y a un dernier critère à observer : nous avons tous une sensibilité artistique différente, des goûts divergents. Aussi, ce que les uns vont rejeter dédaigneusement parce que cela ne leur parle pas va être admiré par d'autres qui vont y déceler l'expression de telle ou telle émotion. Ce phénomène s'applique à quasi toute oeuvre d'art. Très peu parviennent à toucher tout le monde - en fait, je n'en ai pas d'exemple en tête à l'heure actuelle.
Avant de porter un jugement sur une oeuvre, avant de dire "ce n'est pas de l'art !" - soit qu'on s'imagine que l'art doit forcément être beau, soit qu'on pense qu'il ne doit pas l'être trop - il faut se poser un certain nombre de questions : quel sentiment traduit-elle ? quelle pensée ? par quels moyens ? est-ce qu'elle ne me touche pas parce que je n'ai rien vécu de similaire ou parce que c'est mal exprimé, mal symbolisé ? Alors, et alors seulement, on pourra porter un jugement.
Le débat dans le domaine est assez interminable et comme on en a déjà causé, je reprends pas tout. ^^ J'corrige simplement ma mauvaise formulation : quand je dis "froid et sans âme" au début, c'est dans le sens "fade", alors qu'après il s'agit de froideur volontaire (un art représentatif de l'hiver par exemple). Tout ça pour dire que ça n'est pas forcément beau : ça peut être noir, ça peut être froid, ça peut être gore même, ça peut créer une atmosphère, une émotion, et au final être magique.
RépondreSupprimerAvec la correction, ça prend sens ! Merci Inari.
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