Une autre nouvelle écrite il y a quelques mois... Sans rapport apparent avec le thème du blog ? Peut-être que si. Lisez plutôt !
***
- Wesh, Chap'ron
Rouge, tu viens boire un coup ?
- Non mec j'ai pas l'temps là, y'a ma vieille qui va péter un câble sinon !
- Vas-y sérieux... Nique-la, ta vieille !!
- Non mec j'ai pas l'temps là, y'a ma vieille qui va péter un câble sinon !
- Vas-y sérieux... Nique-la, ta vieille !!
Chap'ron Rouge... C'est
comme ça qu'elle se faisait surnommer à cause de son sweat-shirt à
capuche totalement délavé... Le seul vêtement chaud qu'elle avait,
en réalité. Et pour affronter la froideur des banlieues grisâtres
de l'hiver, c'était encore bien peu. Pour se faire remarquer en
revanche, c'était plutôt réussi, il faut dire que le rouge dénote
bien sur un décor de béton. Problème de camouflage.
Et se faire remarquer, ce
n'était pas franchement la meilleure des choses dans un tel milieu.
Rentrer du lycée à presque 19h, c'est une chose que bien des élèves
font. Mais traverser la cité la plus insalubre du nord de Bordeaux
pour atteindre le HLM de sa grand-mère, c'était plus périlleux. Ce
n'était pas franchement le monde des fées et des princes charmants,
par ici...
- C'est à cette heure
là qu'tu rentres ?
- Ben ouais mamie...
J'avais cours.
- C'est ça... Tu
travaillerais pas plutôt dans la rue pour revenir si tard ?
Bornée. Fatigante.
Inintéressante. Vulgaire. Chap'ron Rouge ne manquait pas de mots
pour décrire l'étroitesse d'esprit et le manque de culture de sa
grand-mère. Il faut bien dire que ce n'était pas un milieu
favorable à un réel épanouissement...
Grand-mère vivait dans
un HLM de la fin des années '60, un 30 m² miteux, délabré, avec
du simple vitrage qui laisse passer le bruit des bus toute la nuit.
Ou le bruit des coups de fusil dans la rue. Bref, tous les bruits
quoi. Grand-mère n'avait jamais fait d'études, elle vivait aux
dépends de Grand-père. Sauf que Grand-père, il avait passé l'arme
à gauche pendant la guerre, alors du coup, Grand-mère n'avait pas
trop les moyens de vivre aux Baléares.
Et les parents de
Chap'ron Rouge ? La mère, elle était en cure de
désintoxication dans un hôpital de la rive gauche. Elle n'avait
plus le droit aux visites de sa fille après avoir avoué qu'elle
prenait plaisir à la torturer avec des tessons de bouteille si
celle-ci refusait de l'approvisionner en whisky un soir sur deux.
Quant au père, il avait préféré fuir le plus loin possible devant
un tel climat social. Il avait juste oublié sa fille en partant.
Quand Chap'ron Rouge a fini toute seule, la DDAS s'est occupée de
son cas, et l'a placée chez Grand-mère. Ainsi va la vie, paraît-il.
Du moins, c'est ce qu'on lui disait souvent.
Au moins, elle allait au
lycée. Ca faisait peut-être d'elle la risée des racailles du coin,
mais elle aurait une chance de s'en sortir un jour. Enfin, si elle
tenait le coup jusque là. Entre le racket, la drogue, la
prostitution, et les agressions en tous genres, elle avait intérêt
à se faufiler parmi les immeubles comme le lapin parmi les arbres
pour ne pas se faire attraper par un quelconque grand méchant
loup... C'était comme ça tous les jours, et pour elle, ce n'était
pas demain que ça changerait.
Et effectivement, ce
lendemain, ce n'était qu'un jour comme les autres. Après un maigre
petit déjeuner dans la vaisselle grasse de Grand-mère, il était
temps de filer prendre le bus. L'attente était toujours quelque peu
rocambolesque, compte tenu du fait que nombre d'ivrognes et autres
drogués n'étaient pas loin de l'overdose sur les coups de 7h du
matin. Et par conséquent, c'était souvent l'occasion de bien
étranges – et non moins désagréables – rencontres, et les
quelques minutes qui précédaient l'arrivée du bus paraissaient des
heures. Jusqu'à ce que ses phares pointent à l'horizon goudronné,
comme la lumière au bout du tunnel de béton, comme le rayonnement
salvateur d'un quelconque messie.
Enfin... presque. Le bus
était rassurant car il avait trop de travailleurs, fonctionnaires ou
autres ouvriers qui le fréquentaient pour permettre une possible
agression. En réalité, il était même tellement bondé qu'il était
physiquement impossible de se battre. Les odeurs de bière, de
transpiration et de tabac froid faisaient partie du cadre peu
enchanteur du lieu, et ces matinées glauques et moroses étaient le
quotidien de Chap'ron Rouge, toujours cachée sous sa capuche
crasseuse, dans l'espoir de passer inaperçue.
Bousculade. Bouffée
d'air pollué, et malgré tout plus agréable que l'atmosphère du
bus. Qu'est-ce que ça devait être, la forêt et son air pur !
Mais Chap'ron Rouge ne connaissait pas ça. Sa seule forêt, c'était
les grandes tours de béton. Son bois c'était la cité, et ses loups
les violeurs.
Les journées au lycée
étaient toutes identiques, et l'intolérance des adolescents faisait
partie du panel de choses à endurer au quotidien. Quelques
exemples ?
- Hé, tu les laves
quand tes guenilles ? Seulement lors de ton bain annuel ?
- Ton haleine rappelle
mes pets !
- T'as confondu
l'shampoing et l'huile de friture ?
Pas franchement beaucoup
d'amis pour Chap'ron Rouge. Pas facile non plus d'avoir envie de
travailler. Et pourtant, ça ouvrait des portes un peu plus
valorisantes que d'arpenter les quais en attente de répugnants
bourgeois qui cherchent à tromper leurs femmes en échange de
quelques billets. Mais malgré ça, la motivation était maigre. Dans
un monde totalement privé de lumière, on ne sait pas vraiment
quelle direction prendre pour espérer la trouver un jour...
Et pourtant, cette
journée allait apporter un nouvel espoir pour Chap'ron Rouge. Un
jeune homme la fixait en descendant du bus retour, et comme on ne
peut pas dire qu'il lui pressait de revoir Grand-mère, elle
s'intéressa de plus près à l'individu, quitte à le dévisager
fermement. Son apparence était plutôt inhabituelle pour un gars de
la cité. Costume bleu marine, chemise blanche pimpante, cravate
rouge. Cheveux courts dans le courant de la mode, avec cette petite
pointe de gel très kitsch. Parfum délicat, de ceux dont une
pression coûte un loyer pour Grand-mère. Forte de ses habitudes de
banlieusarde, Chap'ron Rouge ne comptait pas se montrer
impressionnable.
- C'est quoi ton
problème, mec ? T'as pas fini d'mater ?
- Tu me fais rire,
petite... Ca te sert à quoi d'montrer les crocs comme ça ? Tu
crois que tu m'fais peur ?
- Arrête de faire le
dur, sérieux. Comme tu t'la joues, ça m'fout mal à l'aise, c'est
tout.
- Tu habites ici ?
- Tu payes l'info ?
- … J'ai envie
d'dire qu'y'a rien à tirer d'une gamine comme toi, mais quelque
chose me dit que ça serait faire une erreur. Pourquoi tu veux
savoir si j'paye, t'as besoin de fric ?
- Ouais j'ai besoin
d'fric. Pour me casser d'ici. Tu vois, j'en ai un peu marre de
m'retrouver tout l'temps à être saoulée par des mecs louches dans
ton genre.
Pourtant, elle ne pouvait
pas refuser de reconnaître que cet individu l'attirait. Peut-être
parce qu'il était différent des racailles agressives qu'on croisait
habituellement dans ce secteur.
- Si tu veux, c'est
pas difficile pour toi d'trouver un p'tit job ! J'te mets sur
une piste sympa, et tu gardes la moitié des gains. T'en dis quoi ?
- C'est quoi ton
recrutement, mec ? Tu veux que j'revende ta coke ? J'ai
pas envie d'me faire gauler, tu vois...
Il marqua un temps
d'arrêt et secoua la tête l'air de dire non. Il faut dire que
Chap'ron Rouge était assez ferme dans ses réponses. Si elle ne
s'affirmait pas, la cité la dévorait, alors pas vraiment le choix.
- Non, c'est pas un
truc risqué que j'te propose. J'mets à ta disposition du matériel
et un espace de... travail, et tu t'occupes de mes clients.
- M'occuper d'tes
clients ? C'est quoi l'embrouille ?
- T'es soit très
innocente, soit très bête. Disons qu'tu gagnes cinquante euros
juste pour t'faire sauter et attendre que ça se passe, c'est pas
rentable ?
Elle en resta bouche bée,
mais elle-même ne savait pas trop si c'était pour la somme qui lui
paraissait aussi étonnante qu'alléchante, ou pour le concept qui la
révulsait au plus haut point. C'était à considérer ceci dit,
finies les embrouilles avec les racailles du coin, après ça !
Elle aurait juste à faire ça quelques semaines et elle pourrait
s'enfuir loin d'ici, avec tout le pactole.
- Cinquante tu dis ?
C'est... cool.
- Tu marches ?
Alors écoute, demain t'oublies le lycée, et on s'retrouve ici le
matin. Ah, et tâche de prendre une douche...
- Ca roule mec. Mais
si tu essayes de m'embrouiller, crois-moi j'vais pas m'laisser
faire.
- T'en fais pas,
gamine... Pas d'embrouille.
Il lui tendit la main.
Elle hésita, puis finit par la serrer d'un geste franc. Sans un
sourire, elle tourna sur ses talons et fit route vers chez
Grand-mère.
Comme d'habitude, les
conversations avec Grand-mère étaient totalement dépourvues
d'intérêt. D'éternels reproches sur la façon d'être de Chap'ron
Rouge, sa façon de vivre, sa façon de se tenir, la musique qu'elle
écoute, les fréquentations qu'elle a... Quoique, maintenant, ce
dernier point prenait peut-être un peu de sens. A moins qu'au
contraire, elle n'ait trouvé la porte de sortie. L'avenir lui
donnerait ses réponses, mais au moins, c'était une chance à
saisir, et ça ne pouvait pas être pire que maintenant... selon
elle.
Une nuit de plus dans cet
enfer urbain sans couleurs, des hurlements dehors. Une fille se
faisait-elle violer ? A moins qu'elle ne hurlait car son petit
ami venait de se faire tuer sous ses yeux ? Qu'importe, tout
cela était dans l'ordre des choses. Le jour où il n'y aura plus de
hurlements ici la nuit, c'est que l'apocalypse sera passée. Une
belle façon de se dire que la fin du monde n'est pas forcément
quelque chose de mal.
La matinée brumeuse ne
changeait pas non plus de l'ordinaire. Ce qui changeait, c'était la
direction que prenait Chap'ron Rouge ce matin. Point de bus glauque
pour elle aujourd'hui, son nouvel employeur était venu la chercher
comme convenu. Il l'emmena, à travers les forêts d'immeubles et
guirlandes de feux tricolores, vers son nouveau lieu de travail, le
long des hangars sur les quais de la Garonne. Des hangars de métal
rouillé, aux couleurs fades et diluées par le soleil, aux ambiances
glauques. Des marques de l'urbanisme envahissant, soit-disant
pratique au prix de la beauté, et pourtant, s'il est effectivement
plutôt laid, il est malgré tout abandonné, ce qui en dit long sur
sa soit-disant utilité...
Le soleil se levait à
peine et un léger manteau de brume flottait au-dessus de l'eau, dans
lequel se reflétaient les premiers rayons. C'en était presque
poétique, à condition de faire abstraction des odeurs d'essences,
des bateaux crachant leur fumée noire, et du vacarme des klaxons,
hymne des embouteillages quotidiens aux heures de pointe... Mais ce
n'était pas l'heure de s'émerveiller pour Chap'ron Rouge.
- Ramène-toi gamine.
C'est ici qu'tu bosses. Tu vois ce fourgon ? Il est aménagé
comme il faut. T'as juste à attendre que les clients s'arrêtent et
tu les invites à entrer. Après tu fais tout c'qu'ils veulent.
Pigé ?
- C'est pigé. Y'a du
monde toute la journée ?
- Ouais. Alors tu
rates pas les clients, sinon tu rates ta paye. Tu me redonnes les
trois-quarts de ce que tu gagnes.
- Pourquoi tu gardes
autant alors que tu t'tournes les pouces, mec ?
- Parce que sans moi,
t'as pas d'emplacement, t'as pas d'matériel, t'as pas d'fourgon. Et
maintenant qu't'as dit oui, si tu t'défiles j'fais qu'une bouchée
d'toi. Pigé, gamine ?
- Ouais ouais... Tant
que j'me garde une part j'm'en fous de toutes façons.
- T'as des fringues
dans le fourgon. Change-toi, c'est pas comme ça qu'tu vas aguicher
un mec.
Il la laissa plantée là,
et retourna vers sa voiture clinquante. Sans un bruit, la portière
se ferma et la voiture démarra. Sans un regard, il prit la route.
Chap'ron Rouge resta plantée un instant, se demandant dans quoi elle
s'était fichue... Mais elle reprit vite conscience en pensant aux
billets qu'elle aurait bientôt plein les poches !
Motivée, elle ouvrit le
fourgon pour y découvrir un environnement auquel elle aurait certes
pu s'attendre, mais auquel elle ne s'attendait pas malgré tout !
Il y avait là un matelas deux personnes mis à plat, avec de la
lingerie fine parfaitement vulgaire éparpillée dessus. Sur un côté
du matelas, il y avait également des accessoires aussi écœurants
que malsains, quand ils n'étaient pas simplement cruels. Elle
détourna le regard un instant, puis entreprit plutôt de chercher à
les cacher, pour ne pas avoir à s'en servir. Sur les sièges
passager, ça serait parfait ! Les clients n'auraient pas à
passer par là... Ensuite, elle se changea et s'installa à
l'arrière, la porte entrouverte comme il lui avait été demandé.
Puis elle attendit.
Elle s'ennuyait déjà.
Les heures passaient sans que personne ne s'intéresse à elle. Tout
ceci ne lui laissait que trop de temps pour penser à sa misérable
condition. Avait-elle fait le bon choix ? En avait-elle vraiment
d'autres pour fuir ce monde de misère ? Elle avait déjà une
très basse opinion de sa propre vie, à vrai dire, alors était-ce
vraiment pire si elle louait son corps ?
Mais il lui fallait
sortir de ses pensées. Un homme d'environ une cinquantaine d'années
frappait à la porte du fourgon. Un homme aux airs salaces et
vicieux, comme on l'imagine dans ce genre de milieu. Le parfait
cliché en fait. Chap'ron Rouge eût un instant de dégoût, avant de
se rassurer elle-même, en se disant que ça ne changeait rien à la
besogne à accomplir. Elle n'avait pas une grande expérience dans le
domaine, c'est vrai, à part quelques petites gâteries faites à des
camarades de classe plutôt violents, qui lui forçaient largement la
main.
Elle s’exécuta sans y
penser aux désirs de son client. Elle était assez fière d'elle,
d'arriver à faire ce qu'on attendait d'elle sans même y réfléchir.
Elle ne ressentait plus rien, pas de dégoût, pas de plaisir... le
néant, simplement. La besogne fût terminée sans qu'elle n'ait vu
le temps passer, et c'était ce qu'elle pouvait espérer de mieux. En
revanche, la couleur des billets ne la laissa pas indifférente. Elle
les glissa dans une poche de ses vêtements éparpillés tandis que
son immonde client s'éloignait.
Elle ne vit pas les jours
se succéder. Faire coïncider son petit boulot avec les horaires de
lycée suffisait parfaitement à berner la Grand-mère peu
intelligente, surtout en faisant disparaître tous les courriers
d'absence du lycée. Tôt ou tard, cela ne suffirait plus, mais d'ici
là, elle serait peut-être loin. Son employeur se prenait une grasse
part des billets, mais il restait toujours une coquette somme en fin
de compte, surtout pour le peu d'efforts que tout ceci lui demandait.
Certains considèrent la prostitution comme quelque chose d'atroce,
c'est sans doute vrai. Mais si le reste de la vie n'est pas moins
atroce, ça passe presque inaperçu au milieu. Régulièrement, on
lui reprochait diverses choses, comme de ne pas avoir d'accessoires,
et des fois elle se faisait carrément malmener, voire frapper. Elle
n'aurait qu'à dire à Grand-mère qu'elle avait eu des ennuis au
lycée.
Mais forcément, il y a
un jour où on tombe sur un client plus dérangeant... Et après
avoir exécuté tous les désirs de cet individu à priori
quelconque, de nouvelles questions se posent...
- Tu bosses pour le
Loup ? Et ça te dérange pas plus que ça ?
- Le Loup ? Je
savais même pas qu'il se faisait appeler comme ça. C'est quoi ton
problème, mec ?
- Relax, gamine. J'dis
juste que tu vas finir avec de sérieuses emmerdes si tu traînes
dans les magouilles de ce genre de mec. T'as vu la part de bénéf'
qu'il fait sur ton p'tit cul ?
- J'ai besoin d'argent
pour me barrer. J'me fous bien du Loup et d'ses bénéfices, tu
piges ? Quand j'ai recolté assez, j'disparais. Suffit d'un
jour où y'a assez de clients et j'me garde la totalité, après il
me revoit plus.
- Bien vu, gamine...
T'as juste intérêt à bien surveiller tes arrières, parce qu'il
ne fera qu'une bouchée de toi s'il te retrouve.
De quoi laisser Chap'ron
Rouge un peu perplexe. Pourquoi cet homme lui disait-il tout ça ?
Elle ne doutait pas du fait que le Loup était un individu tout sauf
recommandable, mais pendant ce temps, elle se mettait un peu d'argent
de côté pour ses futurs plans.
Et les jours de basses
tâches s'enchaînaient... Cela faisait bien trois semaines qu'elle
avait commencé et elle avait remarqué que la scolarité de son
lycée commençait à s'agiter. Elle n'allait plus pouvoir berner
Grand-mère très longtemps... Et à vrai dire, elle n'avait pas non
plus envie de finir sa vie dans ce fourgon à s’exécuter devant
les désirs toujours plus obscènes de ses clients. D'ailleurs,
c'était décidé. Aujourd'hui, elle avait bien assez de clients et
c'était le moment de garder la totalité du bénéfice. Quand le
Loup passerait la cueillir à 18h pour la ramener chez elle, elle se
serait envolée. Pas de lettre d'adieu pour le grand méchant loup,
et si elle était amenée à le revoir, elle inventerait juste une
histoire bancale avec une descente de police. C'était parfait !
Le seul problème, c'est
qu'elle ne savait pas où aller. Elle se cacherait une nuit à la
gare, et demain elle prendrait un train pour ailleurs, loin. Elle
avait de l'argent et elle se trouverait un petit travail, un vrai,
pas un travail qui consiste à se faire violer dix fois par jour.
Elle sauta de transport
en commun en transport en commun pour finalement atteindre la gare.
Aucune nouvelle du Loup, et tant mieux ! Le pauvre devait être
furieux, et elle riait bien de lui. Comment pourrait-il la trouver ?
La forêt bordelaise est bien trop grande pour que le Loup y trouve
sa proie... Chap'ron Rouge se trouvait géniale, cette fois. Elle
avait réussi un coup de maître à moindres frais. Quelques sévices
corporels ? Elle s'en remettrait bien, ce n'était pas vraiment
pire que les douleurs morales qu'elle avait endurées jusque là.
Elle était devenue insensible à toutes les douleurs de l'âme,
forte de son passé misérable.
On ne peut pas dire que
la nuit passait vite, dans les courants d'air de la gare.
Chap'ron Rouge grelottait littéralement malgré sa capuche rabattue
sur son visage. Ce n'était qu'un mauvais moment à passer, se
disait-elle pour se rassurer. Rien qu'un de plus...
Avant même que les
premières lueurs du jour ne se fassent remarquer, elle réalisa
qu'elle avait oublié un élément indispensable. Tous ses papiers
d'identité étaient restés chez Grand-mère ! Impossible de
faire sans pour se construire une nouvelle vie. Qu'à cela ne tienne,
ce n'était qu'un aller-retour de bus à faire, et un mensonge
supplémentaire à inventer.
Son trajet s'imprégnait
de la mélancolie du matin brumeux. Elle repensait au Loup, non sans
peur, mais malgré tout fière d'elle. Perdue dans ses rêves
d'avenir meilleur, le voyage lui sembla bien court alors que sa cité,
ou plutôt son ancienne cité, était à l'opposé de la gare. Et
arrivée sur place, elle monta quatre à quatre les marches de
l'immeuble délabré pour atteindre son objectif, qui n'était autre
que le HLM miteux de Grand-mère.
Le problème pour
Chap'ron Rouge, c'est qu'elle était assez simplette. Et elle resta
bouchée bée en constatant qu'en lieu et place de Grand-mère se
trouvait le Loup, là où elle pensait récupérer rapidement de
simples papiers. L'autre problème, c'est que du coup Grand-mère
baignait dans une flaque de son propre sang. Bornée qu'elle a
toujours été, elle avait dû tenir tête au Loup. Mauvaise idée.
- Qu'est-ce qui
t'amène gamine, le remord ?
- Espèce d'ordure...
Tu t'crois tout permis, hein ? Qu'est-ce que tu vas faire
maintenant, me liquider aussi ?
- T'as la langue bien
pendue, toi, et pas que pour sucer malheureusement. Tu devrais pas
raconter à tes clients tes objectifs, surtout quand il s'agit de me
berner. Tu pensais que ça serait si simple ? Tu pensais que je
ne te surveillais pas, peut-être ?
- C'était quoi ton
but ? Tu croyais qu'j'allais baiser toute ma vie à ton service
pour que tu te remplisses les poches, c'est ça ?
- J'crois qu't'as pas
compris, gamine. C'est pas toi qui fixe les règles du contrat.
Eclair de lucidité.
Chap'ron Rouge fit demi-tour et dévala les marches en courant, un
grand méchant Loup aux trousses. Elle n'avait jamais couru si vite,
Chap'ron Rouge, et ce n'était pas du luxe. Epuiser un Loup à la
course n'est pas ce qu'il y a de plus évident à faire.
L'hiver est froid, le
vent gelé. Dans son sweat délavé, Chap'ron Rouge court au hasard
des rues pour son salut. Entre la forêt d'immeubles, sur la plaine
goudronnée, pas le temps de se reposer ou de regarder derrière
elle. Il fait encore sombre, et dans l'obscurité précédent les
lueurs matinales, elle couve l'espoir de perdre le Loup, car elle sur
son territoire.
Elle sent le prédateur
après elle, elle retourne rapidement la tête. C'est son dernier
mouvement. Ce matin là, elle n'attendait pas de bus. Et pourtant,
hors de sa vue, ses phares pointent à l'horizon goudronné, comme la
lumière au bout du tunnel de béton, comme le rayonnement salvateur
d'un quelconque messie. Sauf que ce messie l'a emportée dans sa
fuite aveugle.
Le soleil se lève sur
l'océan gris, et le chaperon rouge, lui, n'est plus délavé. Il
brille d'un vif rouge sang, sous les yeux du Loup toujours affamé.
Triste mais vrai....
RépondreSupprimerJe ne l'ai pas lu, mais sais-tu qu'il y a un AT avec pour thème le chaperon rouge ?
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