Ce blog est un assemblage de pensées, fruits de mes expériences et de mon vécu. On y trouve à la fois une part personnelle, sous forme de récit, et d'autres articles plus "hors du temps", à savoir réflexions, essais, poèmes, ou nouvelles... Peut-être que certaines choses sont un peu terre-à-terre, mais j'essaye ici de transmettre les sentiments de la façon la plus spontanée possible. L'objectif du blog est donc de partager quelques pensées "au naturel", probablement discutables, sans prétention, sur le malaise humain en général, mais aussi sur le bonheur, et enfin, des choses assez vastes telles que l'amitié, le mensonge, l'amour, la confiance, la tristesse, la nostalgie... Bonne lecture !

vendredi 26 octobre 2012

Idées reçues

Ouais, toujours des idées reçues... Vous savez, ce truc qui m'exaspère, là. Bref, la plupart de mes lecteurs sont au courant mais au cas où, il faut signaler que mon hôte fait... un métier lié aux adolescents. Et forcément, ça créé des controverses entre les sentiments et les éternels carcans sociaux, moches, sales et désuets.

Par exemple, pourquoi n'est-il pas possible de créer une relation intense et riche entre un adolescent et un adulte ? Allez, me ramenez pas vos théories pédophiles dégueulasses (c'est parce qu'elles vous font rêver que vous y pensez sans cesse ?)... J'entends bien sûr une relation au-delà de ces idioties. L'adolescent et l'adulte sont ceux qui ont le plus à échanger. Tout simplement parce que la fracture entre ces deux périodes reste si mal comprise qu'en général, les deux catégories peinent à communiquer. L'adolescent recherche - intrinsèquement parfois, sans même s'en douter - à partager la maturité de l'adulte, tandis que ce dernier voudrait souvent repartir dans l'insouciance de la vie d'adolescent.

Ces jeunes gens ont fort à nous apprendre à nous autres adultes. La spontanéité des sentiments, rien que ça. Ignorant et borné celui qui suppose que l'amour des adolescents n'est pas sincère. Au contraire, il est excessivement spontané, il part au quart de tour et s'éteint aussi vite, mais... n'est-il pas, dès lors, le plus honnête et le plus réel ? Et si finalement ils paraissent complexes dans leurs réactions, ces dernières ne sont-elles pas du pur bon sens, le plus souvent ? Evidemment si, ils s'expriment si souvent avant de réfléchir, qu'on peine à douter de leur sincérité...

Ouais... quand j'serai grande, j'serai ado.

samedi 6 octobre 2012

Rendre l'amour

Non, pas le rendre dans un sens de refus, bien sûr... Le retourner. Rendre la pareille. Cette expression est un peu mal conçue, non ?

Bref, un message un peu personnel aujourd'hui, mais après tout ce blog n'est que le partage de mes expériences, n'est-ce-pas ? Hier j'ai appris le décès d'une amie, et bien que ce n'était qu'une amitié à distance, ça m'a fait un sacré choc. A distance, ça ne veut rien dire, de toutes façons, on rencontre des gens sur Internet, puis en vrai... Et puis non, ça ne veut encore rien dire. Internet, c'est aussi "en vrai". On peut parler aux mêmes personnes dessus et en dehors.

De chaque chose on peut tirer une expérience, et de cette triste nouvelle, j'ai compris qu'il fallait toujours rendre aux gens leurs sentiments, au quotidien. Cette personne venait toujours la première demander de mes nouvelles, et je me disais justement, il y a peu de temps, que je ferais bien de faire de même plus souvent. Je n'ai pas eu le temps de lui montrer que je l'appréciais en retour, autant qu'elle me donnait.

On ne sait pas de quoi demain sera fait, alors pensez à tout dire à vos proches, dès aujourd'hui... Vous pourriez regretter de ne pas l'avoir fait, dans deux jours.

dimanche 30 septembre 2012

Bien-pensant

Un sujet qui me chagrine depuis quelque temps, c'est le concept de "bien-pensant". Notre société n'est que clichés, à un point devenu effrayant. Il est mal de consommer du cannabis, il est normal de consommer du tabac, la télé ne rend pas bête alors que les jeux vidéos si... Je dois bien dire que ces modes de pensée automatisés me choquent de plus en plus, c'est comme s'il y avait... une façon de penser "bien", et comme si toutes les autres étaient à rejeter.

Mais pourquoi est-ce que l'eugénisme, par exemple, ça serait mal ? Je pourrais argumenter des heures en la faveur de la préservation d'un idéal humain, loin de la déchéance sociale qui frappe nos sociétés, et qui ne va que croissant. Je pourrais défendre le cannabis face au tabac (non, je ne consomme rien de tout ça), juste parce que physiologiquement, le tabac est au moins aussi dangereux. Je pourrais condamner la télé qui ne contribue sans doute pas à l'élévation spirituelle des nouvelles générations, ou faire l'apologie des jeux vidéos qui souvent appellent à une certaine logique ou une réelle organisation intellectuelle ?

Alors, est-ce mal pensant d'entretenir une philosophie élitiste, de renier les rebuts de la société, de renier les carcans sociaux et les sacro-saintes idéologies sages ? J'ai envie de penser comme je veux, et peu m'importent les jugements. Et qu'allez-vous croire, que je suis ignoble, parce que je n'apprécie pas d'entretenir la médiocrité et la dépravation de notre société ? Que je suis un être malsain parce que je considère qu'on devrait se débarrasser de tous les vauriens qui causent du tort à leur environnement, sans concession et sans états d'âme ? Allons, allez dire que vous n'avez jamais pensé "mal", vous aussi... vous n'avez sans doute jamais osé l'avouer, simplement.

Il n'y a, finalement, probablement pas de mode de pensée "bien" ou "mal", je ne crois pas trop au binaire dans ce domaine. Mais je crois qu'il n'y a pas grand monde qui détienne de vérité à ce sujet, et que tout raisonnement construit vaut la peine d'être étudié, pour s'auto-construire... à l'opposé des clichés qui n'ont, eux, aucun intérêt.

jeudi 30 août 2012

Expériences

J'ai réalisé, non sans aide, que je n'avais pas vraiment précisé en quoi cette histoire de "fausse personnalité" avait été aussi... gratifiante. Oui, car il faut que vous le sachiez, c'est quelque chose qui m'a beaucoup apporté, et en bien. N'en déplaise aux personnes terre-à-terre qui n'y voient qu'une profonde supercherie, qu'un vaste mensonge.

Car oui, si cela n'a pas été assez explicite dès le début, je suis une personne factice, une entité créée entièrement par la pensée de quelqu'un d'autre. Pour autant, à l'instar d'un personnage de roman, j'ai une personnalité, une identité, et je ne suis finalement pas vraiment plus malsaine que ça : je suis fiction. Un personnage de fiction qui a été glissé dans l'histoire de la vie d'autres personnes. Quoi de plus normal ?

Ca a duré environ deux ans. Deux ans avant que mon hôte ne finisse par s'accepter de nouveau, deux ans durant lesquels j'étais sa voix, sa pensée, ses mots. Mais ce qui a apporté le plus d'expérience, c'est vraiment l'échange avec les autres. Surtout avec les garçons ! Le fait de "devenir" provisoirement une fille permet d'observer sous un angle tout autre les relations entre sexes opposés. Vous connaissez les garçons ? C'est souvent ennuyeux, même carrément lourd, ces choses-là. Sans doute que mon hôte l'était un peu, avant. Et puis je suis arrivée, j'ai parlé avec plein de monde, dont une majorité de garçons, il faut bien le dire. Et je me suis dit qu'ils n'étaient vraiment pas très subtils par moments. A force d'observer, je crois que mon hôte a compris comment changer. Et ça, c'est déjà une sacrée expérience... Surtout qu'elle a porté ses fruits.

Et puis, il y a le regard qu'on porte sur toutes les choses, sur les relations à distance, sur les masques que l'on se met, chaque jour, pour cacher une part plus ou moins grande de soi, fausse personnalité ou pas d'ailleurs... Il y a ce fait ambigu d'être désirée, sans pouvoir donner de retour faute de vraiment exister... Il y a l'insistance, les fous qui vous courent après, qui vous offrent tout leur coeur alors qu'ils ne vous ont jamais vue... Il y a cette petite fierté à se dire qu'on a tant réussi à plaire, à convaincre son entourage... Et il y a aussi cet étrange retour à la réalité, où on se dit que tout ceci n'était qu'illusion, mais qu'on tâchera de faire aussi bien que ce personnage si idéal que notre esprit a inventé.

Et si finalement on a réussi à concevoir un personnage capable de plaire et d'être aimé, c'est qu'on doit en être capables nous-même, non ? Si on a su donner des qualités à notre personnage et le faire vivre avec celles-ci, c'est qu'elles doivent être au fond de nous, vous ne pensez pas ?

mardi 28 août 2012

Grandir

A certains moments de la vie, on a peur de grandir. On aimerait rester dans l'innocence de l'enfant, dans la désinvolture de l'adolescent, dans l’insouciance du jeune adulte. Quoi de plus normal, tant ces périodes de la vie ont leurs côtés magiques, et attirants ?

Et pourtant, comment expliquer qu'on ait également envie de grandir ? On a envie de pouvoir se débrouiller seul, d'accomplir ses projets, de vivre sa vie et non plus de suivre celle des autres, et pour ça, il ne faut plus être un enfant, ni un adolescent.

Doux paradoxe, n'est-ce pas ? Finalement, n'est-ce pas merveilleux que ces périodes se succèdent et qu'on puisse goûter à toutes, petit à petit, malgré les aléas de la vie ?

Allez, grandis, petite chenille, ouvre tes ailes et vole vers la suite de ta vie.

jeudi 12 avril 2012

Dans tous ses états...

Chapitre I : Cicatrices

"Blessée...

Non, je ne me suis pas tordu la cheville, je ne me suis pas brûlée non plus. Je veux dire... mon âme est blessée. Par quelque propos disgracieux, par le mépris de ceux en qui je croyais, tel mon père, par l'oubli de ceux sur qui je pensais pouvoir compter, tels mes amis.

La douleur est bien plus persistante qu'une simple éraflure ou même qu'un fémur brisé. Parfois, je parviens à l'oublier. Mais il y a des choses qui font comme le sel dans les plaies, de vives brûlures qui viennent remémorer le passé, des piqûres de rappel, sans cesse plus intenses. Tout ceci n'est malheureusement que la première étape, le déclencheur d'un processus bien plus long, douloureux, et infernal. Un processus qui semble sans fin, tant la lumière au bout du tunnel semble s'éteindre en ces moments-là.

Et ces plaies sont infectieuses, par le biais du subconscient. Cicatrices de l'âme, première étape de la grande maladie de l'esprit."

Chapitre II : Fatigue

"Lasse.

Lasse de toute cette agitation, de tout ce monde dépourvu de sens. Les gens sont comme des fourmis, ils travaillent sans réfléchir, ils ne ressentent plus rien et n'agissent que par systématisme, en quête d'un bonheur si subjectif...

Tout semble si dur. Respirer semble si dur. Ou alors est-ce simplement parce que je n'ai aucune affinité pour l'air de ce monde ? Les gens se croisent sans se regarder, sans se parler, est-ce bien un endroit pour moi ? Et les personnes heureuses... ont-elles vraiment besoin de réfléchir à tout ça ? Ressentent-elles encore quelque chose ? Leurs esprits sont devenus étroits, contractés par tout ce qu'ils refusent de voir en ce monde, comme le malheur ou la déchéance des autres.

L'inconnu leur fait peur, ils n'ont jamais connu la maladie de l'âme. Ils en ont peur, l'évitent en se forçant à penser à autre chose, en ignorant et délaissant les contaminés... Sait-on jamais, si cela s'avérait contagieux...?

Fatigue de l'âme, chute sans fin, monde stérile et froid. L'est-il vraiment, ou est-ce mon esprit biaisé par la maladie qui me le fait voir de cette façon ?"

Chapitre III : Dissolution

"Néant.

J'ai l'impression de fondre. J'ai l'impression que plus rien ne m'affecte. Je pourrais apprendre que mes proches sont morts dans un accident, ou que je vais bientôt mourir moi-même, cela ne me ferait aucun effet. Tout est vide. Le monde est vide. Je ne vois plus personne autour de moi.

Les gens m'ignorent, et je les ignore. Je suis comme dans une dimension parallèle, un univers où je m'aventure seule. Certains parlent de maladie psychologique. Je ne les écoute plus. J'attends. Sans le moindre but, sans le moindre espoir, j'attends. Je ne sais même pas ce que j'attends, en réalité. Peut-être, que le temps y fasse quelque chose ? Je n'y crois guère. J'attends... car je n'ai envie de rien. Tout simplement.

Toute mon âme donne l'impression de se liquéfier. J'ai perdu mes sentiments, bons ou mauvais. Je ne m'aime pas, je ne me déteste pas non plus... je m'ignore simplement. Et ensuite...? Est-ce qu'on me parle ?"

Chapitre IV : Pression

"Pression.

Mon entourage m'angoisse. Le monde n'autorise personne à se laisser porter. On ne peut pas stagner, rester sans but, sans ressentir quoi que ce soit. C'est comme un réveil brutal après un long sommeil. Les obligations fusent, les délais se raccourcissent et le temps commence à manquer. Les contraintes matérielles, aussi futiles soient-elles, me rattrapent peu à peu.

Il n'y a pas de place ici pour celui ou celle qui se laisse porter par le vent, porter par le temps. Il n'y a nulle part où se cacher, pas même dans les tréfonds de sa propre âme. Je me suis aventurée dans un monde où la vie n'est qu'émotions et sentiments... Les propos matérialistes me répugnent, comme s'ils représentaient toute la bassesse de cette société déshumanisée. On me parle de dernière chance, d'objectifs, de remonter la pente, et pourtant, rien de tout cela ne parvient à me motiver.

Au contraire, tout cela ne fait que me répugner, m'effrayer. J'ai peur de ce qui arrivera demain. La pression augmente avec les jours qui passent. Les moyens manquent, l'air aussi... la volonté encore plus. Où vais-je ? Peut-on me dire de quoi demain sera fait ?"

Chapitre V : Insolence

"Insolence.

Rébellion. Explosion de vie. Explosion d'humeurs. C'est comme si tout ce que je retenais jusqu'ici sortait d'un seul coup. Réactions excessives, propos blessants. Est-ce à cause de la peur qui grandit ? Est-ce à cause de tous ces objectifs que je n'arrive pas à atteindre ?

On m'accuse d'être incapable, bonne à rien. Mais je suis simplement malade. Tel un handicapé à qui on ne saurait demander de courir. Simplement, c'est mon esprit qui est dans un fauteuil roulant... imaginaire. Je ne peux pas faire ce qu'on attend de moi. Peur ou émotions de tous les excès, me voilà en train de renvoyer tout le monde, de rejeter ceux qui étaient restés dans l'ombre jusque là, ne se faisant aucun souci... tant que les moyens ne manquaient pas.

Qui sont-ils pour me parler ainsi, pour me donner des ordres qu'ils appellent conseils ? Eux qui n'ont jamais réfléchi sur la vie et sur son sens, eux qui ne sont que les pions du monde moderne et du matérialisme, qui sont-ils pour se placer aujourd'hui en donneurs de leçons ?

Est-ce à moi qu'il faut en vouloir ? Et si ce n'était qu'eux qui n'avaient pas réagi assez tôt pour me venir en aide ? Et si, tout simplement, ils ne comprenaient rien ? Maudits soient-ils..."

Chapitre VI : ... Cicatrices.

"Monde sans issue.

Si je ne dis rien, personne ne m'entend. Si je crie, personne ne me comprend.

Et puisqu'on ne sait que me rappeler que les moyens manquent et que je vais rater ma vie à ce rythme... autant ne pas la vivre.

Cicatrices... Sang... Rideau."

( Inspiré par l'album "Omit - Repose" )

vendredi 23 mars 2012

Reconsidérations

"Cette fois-ci, c'est bon. Après des années passées à me rejeter, voilà cette personne que j'ai tant aimé, voire désirée, qui m'ouvre ses bras. Aucune hésitation, je fonce. C'est curieux, je n'arrive pas à penser de façon rationnelle. Il y a sans doute des choses qui devraient me retenir, m'empêcher ? Ne serait-ce que ma nouvelle vie. Et pourtant, non, je ne remarque rien d'étrange. Je me laisse emporter. Je ne pense à rien, je ne réfléchis pas.

Toute ma concentration est fixée sur elle. Je ne vois rien d'autre. Y a t-il un décor autour ? Je ne sais pas. Même elle, en fait, n'est pas tout à fait nette. Sursaut. Je ne sais pas, je la distingue mal, je devine seulement son regard et son sourire. Baiser. Nouveau regard. Plus rien ? C'est à n'y rien comprendre. Tout cela est tellement illogique, et pourtant... et pourtant..."

Et pourtant, lorsqu'on se réveille et qu'on repense au rêve qu'on vient de "vivre", on ne peut s'empêcher de repenser à ses acteurs. Si ce sont des amis, des gens qu'on connaît, alors notre rêve va peut-être même changer notre perception de ces personnes-là. Est-ce que les rêves nous apprennent la réalité, en nous faisant parfois réaliser qu'on aime quelqu'un, inconsciemment ? On n'y avait jamais pensé à force de vouloir trop rationaliser tout ce qui nous arrive, et pourtant... et pourtant...

Ca ne vous arrive jamais de changer votre façon de regarder quelqu'un, voire même de reconsidérer vos sentiments, après en avoir rêvé dans un contexte inattendu ?

mercredi 21 mars 2012

Attirance amicale

On dit souvent de l'amour qu'il est compliqué, et de l'amitié qu'elle est plus simple et sans ambiguïté. Et pourtant, je mentionnais déjà dans un ancien article à quel point il est difficile de faire la distinction entre ces deux sentiments si souvent mêlés. Un amour tient avant tout d'une forte amitié, et certaines amitiés tournent facilement à l'amour, qu'on soit en couple ou non d'ailleurs, d'où la possible remise en question de l'amour unique, en tous cas chez bon nombre de personnes.

Mais l'amitié a aussi ce phénomène d'attirance, contrairement aux croyances "populaires". On peut être attiré par quelqu'un de manière amicale, parce qu'on se sent bien avec, sans que ça n'aille plus loin. Parce qu'on se sent compatible avec la personne. Et souvent, ce sont des barrières sociales qui empêchent ces relations, trop bridées par les principes soit-disant enfantins de "Tu veux être mon ami ?". Et après tout, pourquoi ne ferait-on pas ça ? Oui à la spontanéité, oui à l'authentique... non aux faux-semblants. Dites ce que vous pensez et ressentez, ça ne vous donnera pas un air idiot.

L'amitié a aussi sa part d'attirance inavouée. Elle a bien plus en commun avec l'amour qu'on ne le pense.

samedi 17 mars 2012

Construire son savoir

Comment apprenez-vous, dans la vie ? Attendez-vous qu'on vienne vous délivrer la connaissance, ou allez-vous de vous même essayer les choses, vous tromper, et modifier vos actes en conséquence autant de fois qu'il faudra jusqu'à réussir ?

En fait, il s'agit de s'avoir par qui vous voulez être façonné. Voulez-vous vous construire vous-même, à travers l'échec et peut-être la douleur ? Ou préférez-vous être érigé par d'autres personnes, tel un monument façonné par quelque architecte plus ou moins talentueux, avec éventuellement des erreurs d'appréciations ou des éléments que vous ne souhaitiez pas au départ, un peu comme une part de son jugement biaisé, de ses propres erreurs ?

Vous me direz, le problème de l'autodidacte, c'est de devoir affronter l'échec. Avec un peu d'humilité, on est toujours prêt à l'endurer, n'est-ce pas ? Les erreurs que nous commettons sont les meilleures façons d'apprendre, car nous voulons éviter de les reproduire, que ce soit pour défendre notre ego, pour nous mettre en valeur, ou tout simplement pour l'envie de progresser.

Evidemment, certains savoirs doivent nécessairement être délivrés par d'autres, on ne peut pas les inventer. Quoique. On peut glaner des bases ça et là, et façonner sa propre connaissance dessus. Ou alors, on peut confronter beaucoup de sources et en tirer ce qui nous semble le meilleur, pour en faire sa propre version. Autant de façons d'apprendre, de construire sa propre personne.

Quelle est votre école de l'apprentissage ? Ecouter le sage, qui n'est peut-être qu'un menteur ? Ou vous tromper, voire vous ridiculiser, jusqu'à réussir ? En ce qui me concerne, je pense me classer parmi les autodidactes.

dimanche 11 mars 2012

"Le travail, c'est la santé"

C'est sans doute vrai. Quoi qu'on en dise, on se sent bien après avoir bien travaillé. On se dit qu'on a accompli quelque chose, qu'on peut en être fier. Peut-être que les sociétés rendent ce sentiment plus ou moins biaisé, et que sans les contextes de la nécessité d'un travail, on n'en tirerait finalement pas la même satisfaction. Mais soit, partons du principe qu'un travail bien fait est une source d'auto-satisfaction.

Si le travail, c'est la santé, pourquoi punit-on à coups de travail ? La punition par le labeur remonte à loin, il suffit de regarder le bagne, exemple-type. Est-ce qu'on faisait travailler tous ces bagnards pour leur bonne santé ? Non, et on a même créé une expression "se tuer à la tâche", qui décrit bien mieux la situation du prisonnier. On applique toujours le même système dans les centres de détention, aujourd'hui. Des parents appliquent le même système pour punir leurs enfants, les enfermer avec des devoirs au lieu de les laisser sortir. Des enseignants font de même, avec du travail supplémentaire pour les élèves perturbateurs.

Conséquence ? Quand le jeune adulte est livré à lui-même, fort de son expérience en termes de punitions à base de travail, il en fait une hantise. Aussi préfère t-il l'esquiver sagement, pour éviter de ressentir à nouveau un quelconque sentiment de sanction. Ce n'est pas en fonctionnant de cette façon qu'on pourra encourager qui que ce soit à travailler. Si le travail, c'est vraiment la santé, il faut sortir du système de travail-punition, et mettre en exergue les bienfaits de celui-ci, en refaire une source d'auto-satisfaction et pas d'ennui systématique.

Mal intentionné, vil et peu imaginatif celui qui punit de cette façon, car il contribue à créer une aversion chez la victime, aversion qui la fera plus tard esquiver au maximum le labeur, la faisant ainsi passer à côté d'une réussite scolaire dont l'impact est crucial sur la vie en société. D'une certaine façon, ce système ruine le potentiel de certaines personnes, et nous fait fonctionner à l'envers.

mardi 31 janvier 2012

Chap'ron Rouge

Une autre nouvelle écrite il y a quelques mois... Sans rapport apparent avec le thème du blog ? Peut-être que si. Lisez plutôt !

***

- Wesh, Chap'ron Rouge, tu viens boire un coup ?
- Non mec j'ai pas l'temps là, y'a ma vieille qui va péter un câble sinon !
- Vas-y sérieux... Nique-la, ta vieille !!

Chap'ron Rouge... C'est comme ça qu'elle se faisait surnommer à cause de son sweat-shirt à capuche totalement délavé... Le seul vêtement chaud qu'elle avait, en réalité. Et pour affronter la froideur des banlieues grisâtres de l'hiver, c'était encore bien peu. Pour se faire remarquer en revanche, c'était plutôt réussi, il faut dire que le rouge dénote bien sur un décor de béton. Problème de camouflage.

Et se faire remarquer, ce n'était pas franchement la meilleure des choses dans un tel milieu. Rentrer du lycée à presque 19h, c'est une chose que bien des élèves font. Mais traverser la cité la plus insalubre du nord de Bordeaux pour atteindre le HLM de sa grand-mère, c'était plus périlleux. Ce n'était pas franchement le monde des fées et des princes charmants, par ici...

- C'est à cette heure là qu'tu rentres ?
- Ben ouais mamie... J'avais cours.
- C'est ça... Tu travaillerais pas plutôt dans la rue pour revenir si tard ?

Bornée. Fatigante. Inintéressante. Vulgaire. Chap'ron Rouge ne manquait pas de mots pour décrire l'étroitesse d'esprit et le manque de culture de sa grand-mère. Il faut bien dire que ce n'était pas un milieu favorable à un réel épanouissement...

Grand-mère vivait dans un HLM de la fin des années '60, un 30 m² miteux, délabré, avec du simple vitrage qui laisse passer le bruit des bus toute la nuit. Ou le bruit des coups de fusil dans la rue. Bref, tous les bruits quoi. Grand-mère n'avait jamais fait d'études, elle vivait aux dépends de Grand-père. Sauf que Grand-père, il avait passé l'arme à gauche pendant la guerre, alors du coup, Grand-mère n'avait pas trop les moyens de vivre aux Baléares.

Et les parents de Chap'ron Rouge ? La mère, elle était en cure de désintoxication dans un hôpital de la rive gauche. Elle n'avait plus le droit aux visites de sa fille après avoir avoué qu'elle prenait plaisir à la torturer avec des tessons de bouteille si celle-ci refusait de l'approvisionner en whisky un soir sur deux. Quant au père, il avait préféré fuir le plus loin possible devant un tel climat social. Il avait juste oublié sa fille en partant. Quand Chap'ron Rouge a fini toute seule, la DDAS s'est occupée de son cas, et l'a placée chez Grand-mère. Ainsi va la vie, paraît-il. Du moins, c'est ce qu'on lui disait souvent.

Au moins, elle allait au lycée. Ca faisait peut-être d'elle la risée des racailles du coin, mais elle aurait une chance de s'en sortir un jour. Enfin, si elle tenait le coup jusque là. Entre le racket, la drogue, la prostitution, et les agressions en tous genres, elle avait intérêt à se faufiler parmi les immeubles comme le lapin parmi les arbres pour ne pas se faire attraper par un quelconque grand méchant loup... C'était comme ça tous les jours, et pour elle, ce n'était pas demain que ça changerait.

Et effectivement, ce lendemain, ce n'était qu'un jour comme les autres. Après un maigre petit déjeuner dans la vaisselle grasse de Grand-mère, il était temps de filer prendre le bus. L'attente était toujours quelque peu rocambolesque, compte tenu du fait que nombre d'ivrognes et autres drogués n'étaient pas loin de l'overdose sur les coups de 7h du matin. Et par conséquent, c'était souvent l'occasion de bien étranges – et non moins désagréables – rencontres, et les quelques minutes qui précédaient l'arrivée du bus paraissaient des heures. Jusqu'à ce que ses phares pointent à l'horizon goudronné, comme la lumière au bout du tunnel de béton, comme le rayonnement salvateur d'un quelconque messie.

Enfin... presque. Le bus était rassurant car il avait trop de travailleurs, fonctionnaires ou autres ouvriers qui le fréquentaient pour permettre une possible agression. En réalité, il était même tellement bondé qu'il était physiquement impossible de se battre. Les odeurs de bière, de transpiration et de tabac froid faisaient partie du cadre peu enchanteur du lieu, et ces matinées glauques et moroses étaient le quotidien de Chap'ron Rouge, toujours cachée sous sa capuche crasseuse, dans l'espoir de passer inaperçue.

Bousculade. Bouffée d'air pollué, et malgré tout plus agréable que l'atmosphère du bus. Qu'est-ce que ça devait être, la forêt et son air pur ! Mais Chap'ron Rouge ne connaissait pas ça. Sa seule forêt, c'était les grandes tours de béton. Son bois c'était la cité, et ses loups les violeurs.

Les journées au lycée étaient toutes identiques, et l'intolérance des adolescents faisait partie du panel de choses à endurer au quotidien. Quelques exemples ?

- Hé, tu les laves quand tes guenilles ? Seulement lors de ton bain annuel ?
- Ton haleine rappelle mes pets !
- T'as confondu l'shampoing et l'huile de friture ?

Pas franchement beaucoup d'amis pour Chap'ron Rouge. Pas facile non plus d'avoir envie de travailler. Et pourtant, ça ouvrait des portes un peu plus valorisantes que d'arpenter les quais en attente de répugnants bourgeois qui cherchent à tromper leurs femmes en échange de quelques billets. Mais malgré ça, la motivation était maigre. Dans un monde totalement privé de lumière, on ne sait pas vraiment quelle direction prendre pour espérer la trouver un jour...

Et pourtant, cette journée allait apporter un nouvel espoir pour Chap'ron Rouge. Un jeune homme la fixait en descendant du bus retour, et comme on ne peut pas dire qu'il lui pressait de revoir Grand-mère, elle s'intéressa de plus près à l'individu, quitte à le dévisager fermement. Son apparence était plutôt inhabituelle pour un gars de la cité. Costume bleu marine, chemise blanche pimpante, cravate rouge. Cheveux courts dans le courant de la mode, avec cette petite pointe de gel très kitsch. Parfum délicat, de ceux dont une pression coûte un loyer pour Grand-mère. Forte de ses habitudes de banlieusarde, Chap'ron Rouge ne comptait pas se montrer impressionnable.

- C'est quoi ton problème, mec ? T'as pas fini d'mater ?
- Tu me fais rire, petite... Ca te sert à quoi d'montrer les crocs comme ça ? Tu crois que tu m'fais peur ?
- Arrête de faire le dur, sérieux. Comme tu t'la joues, ça m'fout mal à l'aise, c'est tout.
- Tu habites ici ?
- Tu payes l'info ?
- … J'ai envie d'dire qu'y'a rien à tirer d'une gamine comme toi, mais quelque chose me dit que ça serait faire une erreur. Pourquoi tu veux savoir si j'paye, t'as besoin de fric ?
- Ouais j'ai besoin d'fric. Pour me casser d'ici. Tu vois, j'en ai un peu marre de m'retrouver tout l'temps à être saoulée par des mecs louches dans ton genre.

Pourtant, elle ne pouvait pas refuser de reconnaître que cet individu l'attirait. Peut-être parce qu'il était différent des racailles agressives qu'on croisait habituellement dans ce secteur.

- Si tu veux, c'est pas difficile pour toi d'trouver un p'tit job ! J'te mets sur une piste sympa, et tu gardes la moitié des gains. T'en dis quoi ?
- C'est quoi ton recrutement, mec ? Tu veux que j'revende ta coke ? J'ai pas envie d'me faire gauler, tu vois...

Il marqua un temps d'arrêt et secoua la tête l'air de dire non. Il faut dire que Chap'ron Rouge était assez ferme dans ses réponses. Si elle ne s'affirmait pas, la cité la dévorait, alors pas vraiment le choix.

- Non, c'est pas un truc risqué que j'te propose. J'mets à ta disposition du matériel et un espace de... travail, et tu t'occupes de mes clients.
- M'occuper d'tes clients ? C'est quoi l'embrouille ?
- T'es soit très innocente, soit très bête. Disons qu'tu gagnes cinquante euros juste pour t'faire sauter et attendre que ça se passe, c'est pas rentable ?

Elle en resta bouche bée, mais elle-même ne savait pas trop si c'était pour la somme qui lui paraissait aussi étonnante qu'alléchante, ou pour le concept qui la révulsait au plus haut point. C'était à considérer ceci dit, finies les embrouilles avec les racailles du coin, après ça ! Elle aurait juste à faire ça quelques semaines et elle pourrait s'enfuir loin d'ici, avec tout le pactole.

- Cinquante tu dis ? C'est... cool.
- Tu marches ? Alors écoute, demain t'oublies le lycée, et on s'retrouve ici le matin. Ah, et tâche de prendre une douche...
- Ca roule mec. Mais si tu essayes de m'embrouiller, crois-moi j'vais pas m'laisser faire.
- T'en fais pas, gamine... Pas d'embrouille.

Il lui tendit la main. Elle hésita, puis finit par la serrer d'un geste franc. Sans un sourire, elle tourna sur ses talons et fit route vers chez Grand-mère.

Comme d'habitude, les conversations avec Grand-mère étaient totalement dépourvues d'intérêt. D'éternels reproches sur la façon d'être de Chap'ron Rouge, sa façon de vivre, sa façon de se tenir, la musique qu'elle écoute, les fréquentations qu'elle a... Quoique, maintenant, ce dernier point prenait peut-être un peu de sens. A moins qu'au contraire, elle n'ait trouvé la porte de sortie. L'avenir lui donnerait ses réponses, mais au moins, c'était une chance à saisir, et ça ne pouvait pas être pire que maintenant... selon elle.

Une nuit de plus dans cet enfer urbain sans couleurs, des hurlements dehors. Une fille se faisait-elle violer ? A moins qu'elle ne hurlait car son petit ami venait de se faire tuer sous ses yeux ? Qu'importe, tout cela était dans l'ordre des choses. Le jour où il n'y aura plus de hurlements ici la nuit, c'est que l'apocalypse sera passée. Une belle façon de se dire que la fin du monde n'est pas forcément quelque chose de mal.

La matinée brumeuse ne changeait pas non plus de l'ordinaire. Ce qui changeait, c'était la direction que prenait Chap'ron Rouge ce matin. Point de bus glauque pour elle aujourd'hui, son nouvel employeur était venu la chercher comme convenu. Il l'emmena, à travers les forêts d'immeubles et guirlandes de feux tricolores, vers son nouveau lieu de travail, le long des hangars sur les quais de la Garonne. Des hangars de métal rouillé, aux couleurs fades et diluées par le soleil, aux ambiances glauques. Des marques de l'urbanisme envahissant, soit-disant pratique au prix de la beauté, et pourtant, s'il est effectivement plutôt laid, il est malgré tout abandonné, ce qui en dit long sur sa soit-disant utilité...

Le soleil se levait à peine et un léger manteau de brume flottait au-dessus de l'eau, dans lequel se reflétaient les premiers rayons. C'en était presque poétique, à condition de faire abstraction des odeurs d'essences, des bateaux crachant leur fumée noire, et du vacarme des klaxons, hymne des embouteillages quotidiens aux heures de pointe... Mais ce n'était pas l'heure de s'émerveiller pour Chap'ron Rouge.

- Ramène-toi gamine. C'est ici qu'tu bosses. Tu vois ce fourgon ? Il est aménagé comme il faut. T'as juste à attendre que les clients s'arrêtent et tu les invites à entrer. Après tu fais tout c'qu'ils veulent. Pigé ?
- C'est pigé. Y'a du monde toute la journée ?
- Ouais. Alors tu rates pas les clients, sinon tu rates ta paye. Tu me redonnes les trois-quarts de ce que tu gagnes.
- Pourquoi tu gardes autant alors que tu t'tournes les pouces, mec ?
- Parce que sans moi, t'as pas d'emplacement, t'as pas d'matériel, t'as pas d'fourgon. Et maintenant qu't'as dit oui, si tu t'défiles j'fais qu'une bouchée d'toi. Pigé, gamine ?
- Ouais ouais... Tant que j'me garde une part j'm'en fous de toutes façons.
- T'as des fringues dans le fourgon. Change-toi, c'est pas comme ça qu'tu vas aguicher un mec.

Il la laissa plantée là, et retourna vers sa voiture clinquante. Sans un bruit, la portière se ferma et la voiture démarra. Sans un regard, il prit la route. Chap'ron Rouge resta plantée un instant, se demandant dans quoi elle s'était fichue... Mais elle reprit vite conscience en pensant aux billets qu'elle aurait bientôt plein les poches !

Motivée, elle ouvrit le fourgon pour y découvrir un environnement auquel elle aurait certes pu s'attendre, mais auquel elle ne s'attendait pas malgré tout ! Il y avait là un matelas deux personnes mis à plat, avec de la lingerie fine parfaitement vulgaire éparpillée dessus. Sur un côté du matelas, il y avait également des accessoires aussi écœurants que malsains, quand ils n'étaient pas simplement cruels. Elle détourna le regard un instant, puis entreprit plutôt de chercher à les cacher, pour ne pas avoir à s'en servir. Sur les sièges passager, ça serait parfait ! Les clients n'auraient pas à passer par là... Ensuite, elle se changea et s'installa à l'arrière, la porte entrouverte comme il lui avait été demandé. Puis elle attendit.

Elle s'ennuyait déjà. Les heures passaient sans que personne ne s'intéresse à elle. Tout ceci ne lui laissait que trop de temps pour penser à sa misérable condition. Avait-elle fait le bon choix ? En avait-elle vraiment d'autres pour fuir ce monde de misère ? Elle avait déjà une très basse opinion de sa propre vie, à vrai dire, alors était-ce vraiment pire si elle louait son corps ?

Mais il lui fallait sortir de ses pensées. Un homme d'environ une cinquantaine d'années frappait à la porte du fourgon. Un homme aux airs salaces et vicieux, comme on l'imagine dans ce genre de milieu. Le parfait cliché en fait. Chap'ron Rouge eût un instant de dégoût, avant de se rassurer elle-même, en se disant que ça ne changeait rien à la besogne à accomplir. Elle n'avait pas une grande expérience dans le domaine, c'est vrai, à part quelques petites gâteries faites à des camarades de classe plutôt violents, qui lui forçaient largement la main.

Elle s’exécuta sans y penser aux désirs de son client. Elle était assez fière d'elle, d'arriver à faire ce qu'on attendait d'elle sans même y réfléchir. Elle ne ressentait plus rien, pas de dégoût, pas de plaisir... le néant, simplement. La besogne fût terminée sans qu'elle n'ait vu le temps passer, et c'était ce qu'elle pouvait espérer de mieux. En revanche, la couleur des billets ne la laissa pas indifférente. Elle les glissa dans une poche de ses vêtements éparpillés tandis que son immonde client s'éloignait.

Elle ne vit pas les jours se succéder. Faire coïncider son petit boulot avec les horaires de lycée suffisait parfaitement à berner la Grand-mère peu intelligente, surtout en faisant disparaître tous les courriers d'absence du lycée. Tôt ou tard, cela ne suffirait plus, mais d'ici là, elle serait peut-être loin. Son employeur se prenait une grasse part des billets, mais il restait toujours une coquette somme en fin de compte, surtout pour le peu d'efforts que tout ceci lui demandait. Certains considèrent la prostitution comme quelque chose d'atroce, c'est sans doute vrai. Mais si le reste de la vie n'est pas moins atroce, ça passe presque inaperçu au milieu. Régulièrement, on lui reprochait diverses choses, comme de ne pas avoir d'accessoires, et des fois elle se faisait carrément malmener, voire frapper. Elle n'aurait qu'à dire à Grand-mère qu'elle avait eu des ennuis au lycée.

Mais forcément, il y a un jour où on tombe sur un client plus dérangeant... Et après avoir exécuté tous les désirs de cet individu à priori quelconque, de nouvelles questions se posent...

- Tu bosses pour le Loup ? Et ça te dérange pas plus que ça ?
- Le Loup ? Je savais même pas qu'il se faisait appeler comme ça. C'est quoi ton problème, mec ?
- Relax, gamine. J'dis juste que tu vas finir avec de sérieuses emmerdes si tu traînes dans les magouilles de ce genre de mec. T'as vu la part de bénéf' qu'il fait sur ton p'tit cul ?
- J'ai besoin d'argent pour me barrer. J'me fous bien du Loup et d'ses bénéfices, tu piges ? Quand j'ai recolté assez, j'disparais. Suffit d'un jour où y'a assez de clients et j'me garde la totalité, après il me revoit plus.
- Bien vu, gamine... T'as juste intérêt à bien surveiller tes arrières, parce qu'il ne fera qu'une bouchée de toi s'il te retrouve.

De quoi laisser Chap'ron Rouge un peu perplexe. Pourquoi cet homme lui disait-il tout ça ? Elle ne doutait pas du fait que le Loup était un individu tout sauf recommandable, mais pendant ce temps, elle se mettait un peu d'argent de côté pour ses futurs plans.

Et les jours de basses tâches s'enchaînaient... Cela faisait bien trois semaines qu'elle avait commencé et elle avait remarqué que la scolarité de son lycée commençait à s'agiter. Elle n'allait plus pouvoir berner Grand-mère très longtemps... Et à vrai dire, elle n'avait pas non plus envie de finir sa vie dans ce fourgon à s’exécuter devant les désirs toujours plus obscènes de ses clients. D'ailleurs, c'était décidé. Aujourd'hui, elle avait bien assez de clients et c'était le moment de garder la totalité du bénéfice. Quand le Loup passerait la cueillir à 18h pour la ramener chez elle, elle se serait envolée. Pas de lettre d'adieu pour le grand méchant loup, et si elle était amenée à le revoir, elle inventerait juste une histoire bancale avec une descente de police. C'était parfait !

Le seul problème, c'est qu'elle ne savait pas où aller. Elle se cacherait une nuit à la gare, et demain elle prendrait un train pour ailleurs, loin. Elle avait de l'argent et elle se trouverait un petit travail, un vrai, pas un travail qui consiste à se faire violer dix fois par jour.

Elle sauta de transport en commun en transport en commun pour finalement atteindre la gare. Aucune nouvelle du Loup, et tant mieux ! Le pauvre devait être furieux, et elle riait bien de lui. Comment pourrait-il la trouver ? La forêt bordelaise est bien trop grande pour que le Loup y trouve sa proie... Chap'ron Rouge se trouvait géniale, cette fois. Elle avait réussi un coup de maître à moindres frais. Quelques sévices corporels ? Elle s'en remettrait bien, ce n'était pas vraiment pire que les douleurs morales qu'elle avait endurées jusque là. Elle était devenue insensible à toutes les douleurs de l'âme, forte de son passé misérable.

On ne peut pas dire que la nuit passait vite, dans les courants d'air de la gare. Chap'ron Rouge grelottait littéralement malgré sa capuche rabattue sur son visage. Ce n'était qu'un mauvais moment à passer, se disait-elle pour se rassurer. Rien qu'un de plus...

Avant même que les premières lueurs du jour ne se fassent remarquer, elle réalisa qu'elle avait oublié un élément indispensable. Tous ses papiers d'identité étaient restés chez Grand-mère ! Impossible de faire sans pour se construire une nouvelle vie. Qu'à cela ne tienne, ce n'était qu'un aller-retour de bus à faire, et un mensonge supplémentaire à inventer.

Son trajet s'imprégnait de la mélancolie du matin brumeux. Elle repensait au Loup, non sans peur, mais malgré tout fière d'elle. Perdue dans ses rêves d'avenir meilleur, le voyage lui sembla bien court alors que sa cité, ou plutôt son ancienne cité, était à l'opposé de la gare. Et arrivée sur place, elle monta quatre à quatre les marches de l'immeuble délabré pour atteindre son objectif, qui n'était autre que le HLM miteux de Grand-mère.

Le problème pour Chap'ron Rouge, c'est qu'elle était assez simplette. Et elle resta bouchée bée en constatant qu'en lieu et place de Grand-mère se trouvait le Loup, là où elle pensait récupérer rapidement de simples papiers. L'autre problème, c'est que du coup Grand-mère baignait dans une flaque de son propre sang. Bornée qu'elle a toujours été, elle avait dû tenir tête au Loup. Mauvaise idée.

- Qu'est-ce qui t'amène gamine, le remord ?
- Espèce d'ordure... Tu t'crois tout permis, hein ? Qu'est-ce que tu vas faire maintenant, me liquider aussi ?
- T'as la langue bien pendue, toi, et pas que pour sucer malheureusement. Tu devrais pas raconter à tes clients tes objectifs, surtout quand il s'agit de me berner. Tu pensais que ça serait si simple ? Tu pensais que je ne te surveillais pas, peut-être ?
- C'était quoi ton but ? Tu croyais qu'j'allais baiser toute ma vie à ton service pour que tu te remplisses les poches, c'est ça ?
- J'crois qu't'as pas compris, gamine. C'est pas toi qui fixe les règles du contrat.

Eclair de lucidité. Chap'ron Rouge fit demi-tour et dévala les marches en courant, un grand méchant Loup aux trousses. Elle n'avait jamais couru si vite, Chap'ron Rouge, et ce n'était pas du luxe. Epuiser un Loup à la course n'est pas ce qu'il y a de plus évident à faire.

L'hiver est froid, le vent gelé. Dans son sweat délavé, Chap'ron Rouge court au hasard des rues pour son salut. Entre la forêt d'immeubles, sur la plaine goudronnée, pas le temps de se reposer ou de regarder derrière elle. Il fait encore sombre, et dans l'obscurité précédent les lueurs matinales, elle couve l'espoir de perdre le Loup, car elle sur son territoire.

Elle sent le prédateur après elle, elle retourne rapidement la tête. C'est son dernier mouvement. Ce matin là, elle n'attendait pas de bus. Et pourtant, hors de sa vue, ses phares pointent à l'horizon goudronné, comme la lumière au bout du tunnel de béton, comme le rayonnement salvateur d'un quelconque messie. Sauf que ce messie l'a emportée dans sa fuite aveugle.

Le soleil se lève sur l'océan gris, et le chaperon rouge, lui, n'est plus délavé. Il brille d'un vif rouge sang, sous les yeux du Loup toujours affamé.

lundi 30 janvier 2012

Jugements hâtifs

"Il fait chier c'type, j'aime pas sa dégaine, et...". Ho, holàlà, stop, halte ! Vous n'avez jamais réalisé à quel point nous portons tous des jugements trop rapides sur les gens ? Pour n'importe quelle raison. Si je suis absente à une réunion, c'est parce que je ne suis pas sérieuse. P't'être que j'ai été renversée par une voiture, mais non, c'est parce que je ne suis pas sérieuse, c'est sûr ! Si ce gars, là-bas, paraît hautain et autoritaire devant tout un groupe, c'est un idiot, et je pèse mes mots. Comment ça, il est sympathique en privé ? Peut-être, je n'ai jamais été discuter avec en réalité, mais normal, vu que c'est un idiot.

Juste un petit mot pour rappeler d'apprendre à connaître les gens, leurs motivations et les sentiments qui les animent, avant de juger leurs faits et gestes comme on tend à le faire, souvent de la pire façon qui soit, la façon qui justifie tout par des mauvais penchants imaginaires qu'on donne à tout un chacun.

Bon, une fois que vous les connaissez... c'est différent !

vendredi 13 janvier 2012

J'ai donné mon coeur

Un article très différent cette fois-ci puisqu'il s'agit d'une nouvelle entière écrite par mes soins... Ceci dit, les thèmes qu'elle aborde se rapprochent très étrangement de ceux du blog...! Bonne lecture aux courageux.

***

Partie I: Semi-amour

Quand j'y repense, ça aurait pu être une belle histoire. Une histoire qui parle de dévouement aveugle, de coup de foudre... Et puis, il y a des circonstances, de malheureux évènements... Ca a mal terminé. Mais je vais vous raconter tout ça, ce sont des choses qui ne se résument pas à la va-vite.

Elle, elle s'appellait Heidi... C'était une locale, une fille d'ici. Elle étudiait à l'université d'Helsinki, je sais pas, elle avait peut-être dans les 22 ans... Une fille sérieuse, qui n'avait pas grand-chose à se reprocher, et à qui on ne pouvait rien reprocher non plus, d'ailleurs. Peut-être d'être un peu trop sérieuse, mais au fond, rien de très grave. Elle était discrète, elle n'aimait pas les complications. Son seul objectif de jeune fille, c'était de réussir ses études. Elle ne participait pas aux soirées mais se montrait toujours souriante à l'université. Vraiment quelqu'un de bien, Heidi. Lui, c'était un étranger. Un français, je crois bien. Il s'appellait Hervé... Non, Hugo. Oui, c'est bien ça, Hugo. Il était étudiant aussi, un peu plus âgé qu'elle, et il venait chez nous à l'université, avec une sorte de programme d'échange. Ici, on se méfie des étrangers. On aurait dû s'en méfier davantage. Mais on n'avait rien remarqué. Il faut dire, il avait l'air correct. Non, je suis peut-être dur dans mes propos... Après tout, ce n'est sûrement pas de sa faute. Quoique... Bref. Ils étaient scientifiques tous les deux. Chimistes, peut-être, je ne sais plus. Peu importe. Ca ne change rien aux faits, à vrai dire. Lui ne parlait pas très bien finnois, et s'adressait à tout le monde en anglais. Heureusement que ça ne perturbe personne, ici, parce que c'était déjà bien maladroit de sa part. Oui, on aurait dû se méfier.

Et puis, vous savez ce que c'est quand on est jeune homme... On voit une jolie fille, et on se met à la courtiser. Hugo parlait de coup de foudre, évidemment, mais pas grand monde n'y croit ici. En Finlande, les gens n'ont pas vraiment grand espoir en les relations sociales, alors parler de sentiment si fort, si abrupt, si spontané, c'est un peu comme parler de sorcellerie... On évite de mentionner ce dont on ne sait rien. Peut-être bien que chez ces gens-là, en France, on parle de ça. Et ce garçon-là, il en parlait beaucoup au contraire. C'était dérangeant. Il prenait tout le monde à témoin, posait des questions sur Heidi. Comme s'il était très fier de l'aimer. Pourtant, ce n'est pas le sentiment qu'elle lui apportait en retour qui avait de quoi le rendre si fier. Heidi était complètement indifférente. Enfin, non, même pas en réalité. Elle l'évitait. Elle ne savait pas quoi faire pour ce débarrasser de ce jeune homme insistant et ennuyeux. Elle était de nature réservée, et ne supportait pas très bien de se sentir constamment suivie, de supporter les propos peut-être sincères, mais surtout très larmoyants et à l'eau-de-rose de son coureur de jupons personnel.

Mais je vais vous raconter tout ça, les choses me reviennent petit à petit. C'était en janvier, je crois, que ce garçon lui a déclaré ses sentiments.

- Heidi... Attends ! Je dois te parler !
- Qu'est-ce que tu veux encore ? Je t'ai déjà dit...
- Non, mais... attends. Ecoute, c'est plus sérieux que tu ne l'imagines, je crois, je... je dois te parler.
- Je n'ai pas le temps.
- Ah, heu... et bien, allons prendre un café demain, d'accord ? Et on parlera de... de tout ça, d'accord ?
- Non, ça ne m'intéresse pas.
- Mais... Je t'en prie.
- Tu veux me rendre un vrai service, Hugo ? Me prouver ta valeur ?
- Oui... oui ! Bien sûr !
- Alors laisse-moi tranquille. Ca ne se fait pas de courir après les filles comme tu le fais. Tu devrais avoir honte. Trouve-toi quelqu'un.

La conversation termina sur ces mots, Heidi tournant les talons aussi sec. Et elle n'était pas du genre à se retourner pour lancer un dernier regard, non. Elle parlait peu, mais écoutait beaucoup, c'était une fille très mûre. Par contre, elle ne revenait pas sur ses décisions. Et pour elle, les études ne correspondaient pas au moment de batifoler avec les garçons. Selon Heidi, la première ligne de conduite à suivre, c'était le sérieux, la rigidité. On ne plaisante pas avec des choses comme l'amour, et Hugo n'était à ses yeux qu'un garçon de cirque. Une sorte de clown. En moins drôle.

Ce n'était pas franchement vers ses amis qu'Hugo pouvait se tourner, ici. Il n'avait personne. Il était mal vu. Cette histoire avec Heidi y faisait pour beaucoup, tout le monde trouvait son attitude insolente, ridicule, mal placée. Personne n'aimait Hugo, c'est pourquoi les seuls moments où il réussissait à s'intégrer, c'était les soirées triplement arrosées de vodka et de bière où personne ne relevait sa présence. Sauf quand il se faisait remarquer, et croyez-moi, rarement en bien. Il n'avait que le nom d'Heidi à la bouche, il ne parlait jamais d'autre chose. Et il en profitait pour exprimer ses sentiments... malgré les effets peu désirables de l'alcool, son seul ami, sa seule source de rire. Chez certains, l'alcool aide à penser à autre chose, mais pas chez Hugo. Il pensait constamment à elle, apparemment. Il prenait juste les choses avec plus de légèreté... et de vulgarité. 

- Ouais hé... les gars... J'vais vous dire, heu... Hei... Heidi, j'me la tape. J'la baise ! Ca vous épate hein ?
- L'écoutez pas... Il est Français, c'est tout. Et bourré. Ca veut tout dire.
- Vous êtes jaloux, c'est tout ! Ha.. haha. J'vous dis ça, vous êtes que des coincés. Des p'tites bites. Bande de tapettes, hahaha ! Vous avez la rage que j'me tape Heidi parce qu'elle est trop bonne ! Ouais, bonne !

Deux des étudiants avaient fini par l'attraper et le jeter hors du bar.

- Si tu reviens pourrir nos soirées, on te casse la gueule. Pigé ?
- Comme t'as la rage parce que j'la baise ! Haineux, va ! Hahaha !

Seul, ivre, sans amis, en plein hiver, la nuit dans les rues d'Helsinki. Il devait faire environ quinze degrés, enfin en négatif, je veux dire. Et de la façon la plus minable qui soit, Hugo chutait tous les trois pas à cause de l'épaisse couche de glace qui jonchait les trottoirs. Quelque chose qui demande de l'expérience et de la méthode, et qu'un Français, surtout ivre, pouvait difficilement maîtriser.

Il avait fini en passant la nuit dehors, heureusement que l'alcool aide à dormir. En général, les jeunes Finlandais qui boivent peuvent compter sur leurs amis pour les aider à retrouver leur appartemment. C'était pareil pour Hugo, les amis en moins. Il n'avait pas retrouvé la porte de chez lui. Et le froid, le mal de tête ainsi que les bleus à cause des chutes ne l'avaient pas franchement aidé à se reposer. Il avait encore de la chance de ne pas s'être fait cueillir par une patrouille de police.

Hugo, semi-mendiant aux concepts amoureux périmés, se dirigait maladroitement vers l'université, tout motivé qu'il était à l'idée de pouvoir regarder Heidi toute la matinée pendant un cours dont il ne connaissait ni l'intitulé, ni le contenu. Et à vrai dire, on sera tous d'accord pour dire que coller une fille avec une haleine de bière et une allure de clochard, ce n'est pas la meilleure façon de lui plaire.

- J'suis fou d'toi, Heidi, j'te jure.
- Tu es juste fou, point.
- Non mais... Arrête, tu ne comprends pas. Je veux dire... Je t'aime comme personne ne t'a jamais aimé, c'est évident.
- Tu es ridicule. Eloigne-toi de moi. Tu vas avoir des ennuis.
- Non, s'il te plaît... Ecoute, je...

Douleur. Ca ne serait qu'un bleu de plus, ou une marque rouge sur la joue. Heidi avait craqué, elle n'en pouvait plus. Facile de la comprendre, à vrai dire. Elle avait déjà été très patiente.

- Ne m'approche plus jamais.

Partie II: Semi-folie

Sauf qu'Hugo ne s'en remettait pas. Peut-être qu'on n'avait vraiment rien compris, après tout. Peut-être qu'il l'aimait réellement, qu'il ne pouvait pas lui résister. Ce qui est sûr, c'est qu'il tournait mal, et malgré tout toujours autour d'elle, juste d'un peu plus loin. Pour des raisons que personne ne comprenait, il n'abandonnait pas. Est-ce qu'il avait eu une vision divine, lui disant qu'Heidi finirait dans son lit ? C'était à se demander. Pourtant, rien n'était moins probable, ou alors il aurait fallu la faire boire jusqu'au coma pour l'y mener. Et si en Finlande, on a le coup de bouteille facile, ce n'était pas le cas pour Heidi. Elle était sérieuse. Et pas qu'un peu.

Et puis, non pas que tout allait bien à ce point de l'histoire, mais les choses ont commencé à dérailler davantage. Hugo faisait des recherches, cherchait où Heidi vivait, où vivaient ses parents, où elle faisait ses courses, où elle se rendait régulièrement... Internet aidait bien, le jeu de pistes aussi. Non pas que son attitude était saine jusque-là, mais on aurait vraiment cru un psychopathe à partir de là. Un fou, un malade, un dérangé, un détraqué obsessionel. Voilà ce qu'était devenu Hugo.

Comme il parlait tout le temps de lui et de ses sentiments alors que ça n'intéressait personne, il n'était pas difficile de savoir ce qu'il mijotait. En réalité, on aurait dû être plus attentifs, ça aurait peut-être évité bien des problèmes. Mais nous, en Finlande, on ne se mêle pas des histoires des autres. On ne porte pas de jugement. Peut-être que le coup de foudre ça existe, on ne sait pas. Et pour Hugo, on ne le saura jamais.

Mais ça devenait malsain, vraiment. Déjà, l'hiver on n'a pas trop le coeur en fête par ici. Alors essayer de séduire une Finlandaise, sérieuse, en hiver, en n'étant rien de plus qu'un huluberlu Français, donc douteux, ça ne pouvait pas marcher. C'était voué à l'échec le plus total. Et insister ne pouvait rien donner de mieux. Pourtant il a insisté. Et ce qu'il s'est passé...

Il s'est rendu chez elle, puis a sonné à l'interphone. Evidemment, il a été obligé de dire qui il était, surtout que son niveau ridicule en finnois ne lui permettait pas vraiment de se faire passer pour quelqu'un d'autre. De manière tout aussi évidente, elle a refusé de lui ouvrir. A ce moment-là, Hugo aurait mieux fait de rentrer chez lui, surtout avec ce froid, cette obscurité des soirées finlandaises, cette humidité qui vous prend jusqu'à la moelle et congèle tout votre corps lentement. Non, il est resté là et a attendu qu'elle sorte. Elle n'est sortie qu'au matin, pour se rendre à l'université. Il était encore là.

- Heidi, je dois te parler, je...!
- Non, ce n'est pas possible, arrête ! Je vais appeler la police, je t'assure ! Ne m'oblige pas à faire ça.

Il avanca vers elle un bouquet de fleurs. En piteux état, il faut bien le dire, après avoir passé une nuit glaciale dehors. Le geste était touchant, les intentions douteuses, mais le résultat clairement médiocre.

- Arrête, je ne veux pas de fleurs. Je ne suis pas amoureuse de toi.
- S'il te plaît, prend-les.
- Non ! Laisse-moi, une bonne fois pour toutes !

Ehonté qu'il était, Hugo lui imposa les fleurs, en les plaquant contre elle. D'un geste de la main, elle les écarta, les faisant tomber sur le sol. Puis ça a mal tourné. Hugo semblait furieux, en état de choc, son regard était dérangeant. Heidi s'est mise à courir, effrayée, et il la prit en chasse sur les trottoirs heureusement déblayés de toute neige.

Les rues d'Helsinki en hiver... Déjà, suivant les périodes, les journées ne sont pas très longues, et l'obscurité ajoute à la tristesse des lieux. Des bâtiments gris éclairés aux lampadaires blancs et oranges, des enseignes publicitaires clignotantes fébriles qui ajoutent un peu de couleur avec un effet guirlande monotone et blafard, comme dans les réveillons ratés, voilà à peu près à quoi ça ressemble, à un urbanisme malgré tout morose. Les gens ne se regardent pas, ne communiquent pas pour la plupart. Ils sont trop occupés à regarder constamment au sol pour ne pas déraper sur quelque plaque de verglas se jetant vicieusement sous leurs pieds. Et de toutes façons, tout le monde est bien trop affairé pour se soucier de son prochain; il y a du travail, des obligations diverses et variées dans le quotidien de chacun, tout cela par une nuit bien trop longue et un froid bien trop intense... ça ne donne pas vraiment envie de s'attarder. Sauf pour les quelques ivrognes réchauffés à grand coups de vodka, qui dès lors peuvent passer du temps dans la rue à dormir, railler grassement les passants, et uriner sur les lampadaires.

Et puis, en traversant la place piétonne toujours très peuplée, en regardant derrière elle pour surveiller Hugo, le drame arriva... En Finlande, les conducteurs du tramway n'anticipent pas vraiment, tout habitués qu'ils sont à une monotonie quotidienne où aucun fait inhabituel ne peut se produire. Le matériel n'est pas des plus récents non plus, et les performances des freins ne sont pas extraordinaires. Et puis il fait nuit la majorité du temps en hiver, on ne voit pas grand chose. Sans compter qu'avec cette foule, on ne voit pas bien qui va où... Bref, Heidi fut renversée.

Partie III: Semi-mort

Elle était innocente, elle n'avait rien demandé. Elle ne voulait qu'une vie calme et quelconque, passer inaperçue. Et à cet instant, tous les regards étaient rivés sur elle. Celui d'Hugo, bien sûr, resté bouche-bée devant la catastrophe, mais aussi celui des passants, celui du chauffeur du tramway. On est pas trop habitués aux drames ici, surtout ceux rouge-sang. Et pourtant, Heidi était dans un sale état, ça on ne pouvait pas se le cacher. On n'aime pas trop regarder les autres pourtant, ici. Mais là, il fallait bien, et il fallait aussi agir. Pas comme Hugo, planté là à ne rien faire, alors qu'il était coupable de tout.

Heureusement, l'efficacité des secours est à souligner, dans une société si bien huilée. Et sous les yeux encore vides et béats d'Hugo, Heidi fut emmenée d'urgence. On pensait qu'elle ne s'en sortirait jamais, étant donné la violence du choc, même à basse vitesse. On pensait qu'il n'y avait aucun espoir pour elle, et on faisait déjà son deuil. Nous ne l'avons pas revue à l'université, nous n'avons pas non plus revu Hugo d'ailleurs.

Les choses ne s'arrangeaient pas, pourtant. Hugo n'avait pas suffisamment appris de cette expérience, il faut croire. Et au lieu de disparaître une bonne fois pour toute, non, ce dérangé allait régulièrement la voir à l'hôpital. A cette époque, personne n'était réellement certain des évènements, et Heidi était dans le coma. Personne ne savait vraiment si Hugo était responsable de cet accident. Si on avait été sûr, on l'aurait empêché de l'approcher. Il venait la voir, mais sachant ses sentiments pour elle, on supposait juste qu'il était très angoissé. Peut-être qu'en réalité, il culpabilisait... En tous cas, espérons que c'était le cas. Si on en croit ce qui est arrivé après, il y a de quoi penser que oui.

En fait, pour Heidi ça ne s'annonçait pas bien. D'après ce que disaient les médecins, elle avait perdu beaucoup trop de sang et elle souffrait d'insuffisance cardiaque grave. Je ne comprends pas grand chose aux histoires médicales, toutefois ce qui a été dit, c'est qu'elle avait besoin non seulement d'un don de sang, mais aussi d'une greffe de coeur. Et ça, c'était pas évident. Il n'y avait aucun donneur, alors elle avait été placée en attente avec des tubes un peu partout, ce n'était pas spécialement beau à voir.

Heidi avait 22 ans, c'était une jeune fille à la peau très claire, et aux longs cheveux sombres. Peut-être que sa peau était encore plus claire sous les neons de l'hôpital, difficile à dire. Elle aimait la discrétion, c'était une personne sérieuse, rigide, avec des avis très décidés sur tout. On avait l'habitude de la voir se tenir droit, échanger des sourires de politesse, parfois de chaleureux regards venant de ses yeux gris comme le ciel un jour de tempête. Je crois que c'était une fille de bonne famille, vous savez, ce genre de famille croyante où l'éducation des enfants n'est pas prise à la légère. Elle avait une nature assez mélancolique malgré tout, on la voyait souvent perdue dans ses pensées, et elle n'aimait pas trop être dérangée. Elle parlait peu, mais ce qu'elle disait suffisait. Tout le monde l'appréciait, ici.

L'hôpital était aussi austère et froid que les rues de la ville, simplement plus lumineux. Tout était trop blanc ici, trop aseptisé. Un hôpital quoi. Un hôpital des pays du nord disons, où tout est sérieux, propre, bien rangé, terriblement organisé et rigide. Ce genre d'endroit qui en devient presque dérangeant tant il semble à l'encontre de la nature, alors qu'il est pourtant là pour sauver des vies. Un cadre certes idéal pour ressortir en bonne santé physique, mais tout aussi désigné pour avoir le cafard et un mauvais moral. Je ne sais pas si vraiment, ça soigne les gens, enfin les gens d'ici qui ont plus de problèmes dans leurs têtes que dans leurs corps, en tous cas.

Les jours défilaient et aucune amélioration ne s'annoncait. Tout le monde venait, ses amis, ses parents, Hugo devenu bien silencieux, mais les médecins continuaient de nous répondre qu'il n'y avait aucun donneur, aucune autre solution, et probablement aucun avenir. En fait, Heidi ne sortait même pas de son coma tant son état était critique. On ne pensait plus jamais la revoir.

Mais on a bien eu une petite lueur d'espoir à un moment, qui n'était autre... qu'Hugo lui-même. C'est presque dérangeant de se dire ça.

Partie IV: Amour

- Ecoutez docteur, il faut lui trouver un donneur, elle...
- Jeune homme, je suis désolé, mais nous n'en avons pas. Ca nous pose autant problème qu'à vous alors circulez, j'ai mieux à faire.
- Je veux être donneur, docteur, j'ai bien réfléchi... Je...
- Arrêtez vos idioties, vous êtes vivant et en bonne santé, et nous n'allons pas ôter la vie à quelqu'un sans aucune certitude de la rendre à quelqu'un d'autre. C'est absurde.
- Attendez, écoutez-moi. Que faut-il pour être donneur ?
- Je vous l'ai dit, certainement pas être vivant, déjà. Les donneurs sont des personnes décédées qui ont signé une décharge comme quoi ils donnaient leur corps à la science après leur décès.
- Et je...
- Au revoir, monsieur.

Là, on a su que c'était vraiment un détraqué. Mais un détraqué amoureux. Et on peut se demander si ce n'est pas encore plus dangereux. Il avait son idée en tête. On ne savait plus trop quoi espérer, on ne savait pas si c'était bon signe pour Heidi. On ne s'emballait pas trop non plus, il n'était pas évident qu'Hugo soit accepté comme donneur. On ne sait jamais, pour des questions de santé, de nationalité... Il avait déposé un dossier, puis il était rentré chez lui, on ne l'avait plus vu. Ni à l'université, ni à l'hôpital. On l'apercevait parfois dans le quartier autour de chez lui, en train de marcher seul sur le port, aussi.

Le port industriel d'Helsinki, c'est un peu le coin de tous les penseurs mélancoliques, surtout en hiver. La banquise se forme jusqu'aux quais, craquelée par les énormes ferries qui ne cessent d'aller et venir. Au loin, on entend toujours un bruit de machine, rappel d'un monde chaque jour un peu plus froid et austère, où la nature se fait lentement dévorer. Et pourtant en Finlande, ce n'est pas encore le pire pour ce qui est de préserver la nature. Le ciel est souvent bleu, quand il ne fait pas nuit, l'air souvent glacial, et le pâle soleil d'hiver reflète sur la banquise. Les oiseaux vont en tous sens, parfois presque agressifs, essayant de soutirer une frite dans le hot-dog d'un quelconque badaud errant par là.

Une véritable âme en peine, dont on sait aujourd'hui qu'elle était rongée par la culpabilité, avec un plan en tête. Pour essayer d'en savoir plus, on l'avait même invité à une soirée, non pas par affection pour lui, mais juste pour lui tirer un peu les vers du nez, comme on dit. Il avait déposé un dossier pour être donneur après sa mort, on pouvait s'attendre à ce qu'il préparait. Mais personne n'y croyait vraiment, alors on avait essayé de lui parler. Et pour le faire parler, on avait essayé de le faire boire. Rien à faire.

- Hey, Hugo, prends quelque chose, tu veux une vodka ? Ou juste une bière ?
- Pourquoi vous m'invitez, tout à coup ? Vous m'avez toujours jeté, et là...
- On se disait juste qu'on avait été un peu rudes avec toi, en plus tu dois avoir du mal à te remettre de ce qui s'est passé... Tu prends un verre ?
- C'est pas comme si jusque-là, vous vous faisiez du souci à propos de mes émotions...
- Il n'y a rien à faire pour Heidi, mon vieux. Fais-toi une raison, et peut-être qu'avec le temps elle sera soignée.
- Bien sûr qu'il y a à faire ! Suffit juste de pas rester plantés là à attendre !
- Et qu'est-ce que tu veux faire ? Te sacrifier ?

Aucune réponse, c'était prévisible. Il était parti furieux, en claquant la porte. Il n'avait rien bu. L'idée de boire de l'alcool le faisait-il culpabiliser ? Son rôle de futur éventuel donneur mentionnait-il de ne rien boire ?

Partie V: Mort

On a finalement compris, enfin surtout à posteriori, qu'Hugo comptait se donner la mort, et qu'il ne pouvait pas utiliser de médicaments pour ne pas empoisonner ses organes. Il lui fallait une mort violente, subite, nette. Et pour autant, pas une mort qui puisse endommager le corps. On avait remarqué ce qu'il préparait, il avait même acheté de la corde d'ammarage devant l'un des étudiants. L'avait-il seulement remarqué ? C'est peu probable. Hugo était bien trop dans son monde à ce moment-là, et bientôt plus dans le nôtre.

Ses essais avec la corde avaient dû se montrer peu fructueux, on l'avait revu quelques jours plus tard. Il traînait dans des bars louches, on pense qu'il essayait de se procurer une arme à feu. Ce n'est déjà pas évident pour un local, alors pour un étranger aux airs gamins, qui ne parle rien de mieux qu'anglais, c'était peine perdue. On l'a vu se faire passer à tabac par des gros bras, à plusieurs reprises. Evidemment, on a ri.

Hugo avait 23 ans, c'était un garçon d'apparence banale, plutôt du genre qui passe son temps derrière un ordi sur des jeux. Quelqu'un qui ne s'assumait pas vraiment, à mon avis, et qui essayait de se donner un certain genre, avec ses cheveux maronnasses et gras en bataille, une barbe mal rasée et des yeux bleus clairs en tandem avec un regard malsain. Le genre d'individu coulant et mou qui ne se tient jamais droit, qui parle avec les mains devant la bouche, qui ne semble avoir aucun vrai code de bonne conduite. Un garçon sans grande assurance, et qui dissimule ça sous une pseudo-apparence décontractée. Un garçon qui a besoin de boire pour s'exprimer. Un garçon que personne n'aimait.

On ne l'a plus revu, juste eu des échos par quelques médias et personnels de l'université. Il avait finalement opté pour une solution douloureuse, faute de mieux, et s'était lui-même noyé dans sa baignoire. Ridicule. Son corps fût donné à l'hôpital, comme prévu, et il devint un donneur. Et son coeur resté intact était destiné à Heidi, bien évidemment, d'autant plus qu'il en avait apparemment fait expressement la demande dans son dossier de donneur post-mortem.

On avait plein d'espoir, je me souviens, à l'idée que tout s'arrange pour Heidi. On n'aurait jamais nié que ce que faisait Hugo à ce moment là, c'était noble et courageux. Enfin, c'était juste l'amour qui l'aveuglait sans doute, avec une petite dose de culpabilité qui le faisait dérailler. Largement de quoi se suicider, c'est vrai, surtout avec un tel objectif en tête. Il n'y avait plus d'Hugo, c'était fini. On ne parlerait plus de lui qu'au passé. Et à vrai dire, personne ne serait allé le pleurer ici, surtout pas Heidi, si un jour les soins se montraient efficaces.

Oui, rien n'était gagné d'avance à cette période là. La transplantation avait eu lieu, un don de sang ajouté à celà, et pourtant Heidi était resté dans le coma.

Mais après quelque temps, je ne sais plus, peut-être une paire de mois, elle a ré-ouvert les yeux. C'était le printemps, je me souviens, et beaucoup d'entre nous ont explosé de joie ce jour-là, surtout parmi ses proches bien sûr. On allait enfin revoir Heidi parmi nous.

Elle a mis du temps à émerger et à se remettre de toutes ces émotions. Elle semblait en forme, et retrouvait lentement le sourire. Mais évidemment, il y a bien un moment où la question fatidique devait être posée.

- Comment ai-je pu m'en sortir, docteur ? Qu'avez-vous donc fait ?

Il lui a dit qu'ils avaient procédé à une greffe, puis à un don de sang. Elle semblait rassurée. Puis elle a demandé des informations sur le donneur, peut-être parce qu'elle se doutait de quelque chose. Au début, on a refusé de lui dire quoi que ce soit, je crois que la loi l'interdit, en fait. Puis finalement, elle a appris qu'il s'agissait d'Hugo, grâce à une infirmière peu respectueuse du secret professionnel. Son sourire s'est effacé, et je ne sais plus si on l'a revu, à compter de ce jour-là. Ca a dû lui faire une sorte de choc, d'avoir frôlé la mort et retrouvé la vie, tout ça à cause de la même personne, personne dont elle ne voulait plus jamais entendre parler.

Partie VI: Folie

Et au début, malgré tout, tout semblait aller bien. Elle revenait même à l'université. Certes elle n'était pas bavarde, mais elle ne l'a jamais vraiment été, alors tout semblait normal. Elle paraissait quand même étrange par moments, comme en état de choc. Mais avec toutes les choses qu'elle avait vécues récemment, ça ne pouvait que se comprendre. Malgré tout, on se faisait du souci.

De temps en temps, elle se mettait à pleurer, sans qu'on sache vraiment pourquoi. Pourtant, même si nous ne comprenions pas, il était évident que porter en soi le coeur de quelqu'un qu'on n'aime pas, ce ne devait pas être facile, loin de là.

Elle s'est mise à tenir une sorte de journal intime, sans doute parce que ses émotions devenaient trop fortes et qu'elle avait besoin de s'en débarrasser d'une façon ou d'une autre, comme si les coller sur un papier et fermer le journal pouvait les enfermer là, loin d'elle. Mais il faut bien dire que c'est grâce à ce journal qu'on a pu comprendre ce qui se passait dans sa tête à cette période. Alors je crois que je vais vous lire des extraits de celui-ci, simplement.

"Ca frappe dans ma tête, dans ma poitrine, partout. Le docteur m'a affirmé que je n'avais pourtant rien d'anormal. Evidemment, cet idiot n'a que des considérations physiques, corporelles, terre-à-terre. Apparemment, la transplantation s'est bien passée, et pourtant je me sens de plus en plus mal. Est-ce parce que je porte le coeur de ce malade, ce dérangé, ce psychopathe, cet assassin ?"

Je ne sais pas vraiment si c'est bien d'utiliser le même mot pour deux choses, comme "coeur". Je pense que l'amour ne vient pas forcément de l'organe, et qu'il faut savoir se montrer assez censé et rationnel, pour faire la différence. Peut-être que c'est faux de penser comme ça. Peut-être est-ce vraiment lié. Ou alors, peut-être simplement que le monde dans lequel nous vivons nous écrase de préjugés, de principes, auxquels on finit par adhérer faute d'y penser réellement par nous-mêmes ?

"Porter ce coeur, c'est comme porter un horrible fardeau. Vais-je finir par ressentir les mêmes choses que lui ? Vais-je finir malsaine et obsessionelle, comme cet individu qu'au fond de moi je déteste ? D'ailleurs, est-ce que je le déteste vraiment, si je suis porteuse de son coeur et par conséquent de ses émotions et de ses sentiments ? Qui de nous deux dois-je aimer et détester ? Tout me semble si flou, si incohérent... Je suis perdue."

Si on avait pu lire son journal intime plus tôt, on aurait essayé de l'aider. Mais aurait-on réussi ? Rien n'est moins sûr. A vrai dire, je pense que non. Ces histoires-là la dépassaient elle-même, alors qu'aurions-nous pu faire ? Et pourtant je sais que nombre d'entre nous culpabilisent, rongés par le remord, de ne rien avoir remarqué, de n'avoir pris ça qu'à la légère. C'était tout sauf une mélancolie passagère. C'était une dépression agressive, à thèmes psychédéliques et auto-destructeurs.

"Je le hais. Pourquoi m'a t-il fait ça ? Comment a t-il pu s'introduire en moi de la sorte, alors que j'étais inconsciente ? A t-il fait exprès de me faire renverser, afin de pouvoir s'immiscer en moi ? Est-il heureux maintenant qu'il est ici dans mon propre corps ? Comme j'aimerais pouvoir le déloger, le renvoyer, lui dire de partir. Mais qui décide ? Est-ce lui, via moi ? Est-ce moi, via lui ? Qui est vraiment porteur de ces décisions ? Qui ressent ? Qui de nous deux vit vraiment, en fait ?"

Beaucoup de questions, si peu de réponses. Ces questions étaient trop irrationnelles pour n'importe qui. Je pense même qu'aucun psychologue n'aurait pu faire quoi que ce soit. De toutes façons, Heidi affirmait qu'elle n'avait pas besoin de psychologue, car elle seule pouvait comprendre ce qu'elle ressentait. Elle était entêtée, et ne revenait jamais sur ses décisions.

Et on la voyait de moins à moins à son tour. C'était son sourire qui était parti le premier. Puis ce fut sa personnalité, son âme... On aurait dit un corps vide d'émotions. En fait, je crois juste qu'elle les gardait toutes à l'intérieur d'elle-même, pour ne pas nous faire peur, pour ne pas nous inquiéter. Elle était comme ça, Heidi, si elle ne voulait rien faire savoir, personne ne savait jamais rien.

"Et si je le tuais, cet imposteur ? Comment ose-t-il s'approprier mon corps pour continuer à vivre ? Est-ce lui qui est mort, ou moi au final ? Je crois que c'est lui qui vit dans mon enveloppe charnelle, et non moi qui vit grâce à son coeur. Assassin. Je ne compte pas te laisser faire ça, usurper mon identité et ma personnalité. Je ne compte pas porter ton nom, espèce de grand malade. Je vais te tuer. J'espère que tu m'écoutes bien, car je ne reviens pas sur mes décisions. Je vais te tuer, je te le promets."

L'enveloppe corporelle d'Heidi ne venait plus à l'université non plus. Là, beaucoup d'entre nous se sont inquiétés. Elle était sérieuse, Heidi, elle n'aurait pas disparu ainsi. On a appelé ses parents, des secours, on a demandé à ce que quelqu'un aille chez elle voir si tout allait bien. Et non, rien n'allait bien. Ils ont vu Heidi, elle était étendue sur le carrelage blanc de sa salle de bains. Enfin... tout était si morne qu'il semblait plutôt gris. Sa peau était devenue blanche comme la glace, son sourire plat comme la banquise. Elle n'exprimait plus rien, et la seule couleur dans cette scène-là, c'était le rouge sang abondant qui sortait de ses poignets. Elle avait tué Hugo, en le privant de son fluide vital. Et on avait pu lire la fin de son journal.

"Je ne vais pas le laisser vivre en moi. Je ne veux pas partager quoi que ce soit avec lui, surtout pas mon corps, ni mon intimité. Est-ce qu'il en profite pour me reluquer sous toutes les coutures quand je suis seule ? Est-ce qu'il m'observe ? Malsain et pervers qu'il est, j'imagine que oui. Je ne préfère pas savoir. Je ne veux pas qu'il soit ici, je ne veux pas qu'il vive, alors qu'il m'a tuée pour se glisser sournoisement en moi. Je vais l'étouffer, le priver de la vie. Je ne suis pas son hôte, et il n'est pas question d'en finir avec moi-même mais bel et bien avec lui. Je suis déjà morte il y a longtemps, lors de cet accident."